Nous avons rencontré, via le Net, l'auteur  du roman "Les chemins du Ouaddaï" qui vient de paraître dans la collection Campus  aux Éditions Delahaye.
Nous espérons que cet entretien vous fera mieux connaître et apprécier  ce baroudeur écrivain qui a consacré sa vie à l'aventure humaine au sein des ONG et qui, à travers ses livres, nous fait  mieux comprendre le monde  et l'époque que nous connaissons.
Comme ses écrits, ses paroles sont pleines d'espoir en l'humanité et en la jeunesse.




                 Entretien avec Gérard VIGUIE

Michel Bonvalet


- Bonjour Gérard Viguié, nous vous connaissons au travers des trois romans que vous avez publié : La caravane de l'espoir, Le fils du Lion et Les chemins du Ouaddaï paru plus récemment aux éditions Delahaye. Une courte biographie figure également sur le site des Amis de Signe de Piste.
Vos romans nous ont passionnés mais nous aimerions en savoir un peu plus sur votre expérience et ce goût de l'aventure et des voyages qui caractérise vos écrits ? Parlez nous un peu de vous !                                                                                        

- Si je n’ai pas encore la mémoire qui flanche :
1949: Naissance à Saint-Mandé (94))
1953-1958 : enfance au Liban
1963-1967 : scoutisme en France
1968 : période agitée
1968-1974 : études supérieures en France
1975 : mariage civil .
1976 : expédition polaire au Spitzberg
1978 : thèse de doctorat sur l’aide alimentaire et diverses publications
1979 : Naissance de mon fils aîné Arnaud et traversée à dos de dromadaire du Tchad à Khartoum
1982: Première mission humanitaire en Afghanistan (mission clandestine)
1984 – 2000 :  16 ans de travail humanitaire (développement/gestion des crises)
avec les Nations Unies, au Soudan, Tchad, Afghanistan et Pakistan, Congo et Rwanda, Sierra Léone et Libéria, Asie Centrale ex soviétique, Mozambique et Afrique du sud
En 1989 j’échappe de peu à la mort dans une embuscade au Sud Soudan.
(et aussi écriture des deux premiers romans publiés au SdP et du premier jet du 3ème)
Second  mariage tardif avec Héléna ( Russe d’Asie centrale ) le mariage civil a eu lieu au Tadjikistan, 2 enfants nés en 1999 et 2001 Christian et Anastasya (ce qui veut dire résurrection).
2001 –2005 : Retour en France, travail à  la direction des Etudes de l’Ecole Nationale Supérieur des Mines de Paris et membre du conseil d'administration de l’ONG humanitaire Acted,  Secrétaire Général depuis 2003.
Je collabore aussi à la société GEOS pour des contributions géopolitiques.


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Comment vous est venu ce goût de l'aventure, des voyages et de la découverte?

- Au delà de mon enfance au Liban, j’ai une dette envers le scoutisme où j’ai attrapé le goût des raids et de l’aventure, ma véritable éducation, à l’opposé du risque zéro et du principe de précaution.
Ensuite, ayant été rejeté par les tests psycho des Terres Australes Françaises j’ai décidé de monter ma propre expédition avec des amis, au Spitzberg,  en 1976.
Puis tout s’est enchaîné, entre études et voyages multiples jusqu'à l’aboutissement logique, un coup de téléphone me proposant un job dont personne ne voulait à l’époque à  Juba au Sud Soudan.
J’ai plongé pour 15 ans et grimpé les échelons de l’action humanitaire…. Jusqu’au jour où je me suis retrouvé trop haut, à ne plus faire que de la politique et des rapports …. Et puis il y avait mon vieux père... alors je suis rentré en France ... mais l' atterrissage a été  brutal et difficile.


- Vous avez donc été scout ! Cette expérience a-t-elle influencé votre  vie?

- Bien sûr ! j’ai été scout et je considère cette étape comme décisive !


- Vous abordez, dans vos œuvres, des sujets graves qui diffèrent sensiblement de ceux  de la collection (hors Édith Lesprit). Pourquoi des romans destinés à la jeunesse ?

- La jeunesse, trop flattée est en fait insultée. Cette jeunesse est aujourd'hui coincée entre une triste réalité, société du principe de précaution et du risque zéro, (des assurances multiples etc...) et une littérature infantilisante et détachée du réel (même pas de la bonne science fiction, voir Harry Potter) ou bien de l’ésotérisme de pacotille (voir Da Vinci Code) ….
Elle se réveille dans un monde médiocre qui renie son passé et et ne s’aime pas (déluge négatif sur les croisades, la colonisation...avec falsification de la vérité...) Je  souhaite prouver que l’aventure est encore possible  dans notre vaste monde et ceci sans malmener l’histoire réelle et en choisissant des valeurs chrétiennnes essentielles qui sont en voie de disparition….
Je n’écris pas pour être populaire ni pour gagner de l’argent mais pour transmettre ce qu’une ou plusieurs générations défaillantes souhaiteraient enterrer et en rêvant qu’une étincelle fasse repartir le feu chez quelques jeunes minoritaires, mais qui pourraient en entraîner bien d’autres…



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Vous puisez vos sujets dans une actualité parfois brûlante et qui vous tient apparemment à coeur...Sont-ils des récits romancés ou des fictions s'appuyant sur des faits réels ?
 
- Mes titres sont des oeuvres de fiction appuyées sur le réel mais dans des proportion variées.
Un roman ne vieillit pas comme un récit historique et peut transmettre l’essentiel qui est souvent invisible. Le cocktail varie mais jamais je ne tomberai dans la falsification ou l’absurde.
En fait il suffit d’observer la vraie vie : partout la réalité dépasse la fiction ….



- Avec Les chemins du Ouaddaï vous donnez une suite au Fils du Lion, est-ce le début d'une saga ?

- Pas de saga prédéterminée ! Je garde ma liberté et je dois aussi tenir compte du facteur temps, mais je pense quand même à un ou deux nouveaux romans qui reprendraient, entre autres, les personnages déjà rencontrés.


- Dans ce même livre vous faites référence, par courrier interposé, à l'absence d'éducation donnée aux enfants, leur manque de prise de responsabilités et de risques, le protectionnisme exacerbé des parents qui tue l'esprit d'aventure... Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce sujet ?

- Je vous renvoie aux livres de Michel Menu ( Le mythe de la jeunesse) et de Jean-Claude Guillebert (Ils ont tués tous les héros) qui détaillent bien chacun le fond du problème.
J’ajouterai que la spirale infernale des relâchements multiples (plus on vise bas plus on glisse..) et de la haine de notre passé (dénigrement systématique ) pour tomber dans le culpabilisme et le rêve de la page blanche  (qui donne au pire Pol Pot)  ne peut que pousser les jeunes au dégoût, au suicide ou à la révolte. J'aime beaucoup Wladimir Wolkoff et ses livres ou bien Jean Raspail…. Eux aussi aiment le panache et visent haut !



- Votre dernier roman offre une petite similitude avec Le Prince Eric (la substitution de Frantz par Adonis) est-ce un clin d'oeil à Eric et Yngve ?

- C’est sans doute vrai et inconscient! Mais attention avec une nouveauté en gestation :  Adonis est il vraiment mort ? ou bien Frantz va-t-il prendre aussi un peu de lui à travers ses rapports avec Zorn ?
J’aime cet équilibre encore instable. Ici c’est moins tranché qu’avec Dalens … c’est du Dalens assaisonné de Wolkoff.


- Que pensez-vous des illustrations qui agrémentent vos textes ?

- Bien sûr je rêvais de Pierre Joubert, mais il faut être réaliste et savoir tenir compte des contraintes de temps chez les meilleurs.


- Avez vous d'autres romans en projet ?

- Dans ma tête oui ! mais c’est le temps qui manque car j’ai de nombreuses autres activités.
Si un jour je peux devenir écrivain à plein temps (impossible aujourd’hui pour des raisons économiques et familiales) ma plume redeviendra peut être prolifique.
J’ai le potentiel car j’ai beaucoup vécu intensément et il faut cela pour puiser et écrire !



- Quelques éditeurs luttent pour pérenniser l'esprit de la collection SdP, pensez-vous que les débouchés soient suffisants pour leur permettre de se développer ?

- Je ne me pose pas la question à court terme ! ” ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait ...” Cela prendra beaucoup de temps , surtout compte tenu du verrou hostile dans les milieux décideurs français.  Heureusement il y a la mondialisation et tous ces donjons franchouillards deviennent un peu dérisoire. Le monde change vite et bouscule,  je pense curieusement que nous somme en fait en avance sur un immense retour aux valeurs essentielles et que la société d’assistés à autant d’avenir qu”en avait l’URSS en 1990 !
Donc ils faut tenir, tenir, tenir et transmettre jusqu’à ce que la marée revienne nous soulever.



- Nous partageons votre avis sur la littérature proposée aux jeunes, Harry Potter, son succès est indéniable pourtant. Est-ce le signe que la jeunesse se réfugie dans l'abstrait par peur du présent et des guerres larvées qui agitent le monde ? Ou par paresse d'esprit ?

- Je ne juge pas les jeunes qui ne peuvent que  réagir par rapport à ce que le marché leur offre en masse, mais il y a hélas aussi les conséquences du grand échec de notre époque, partout l'éducation est un échec ! il y a un sacré boulot en perspective ! 
Il faut déjà voir les futurs jeunes au delà de gamins déjà vieillis prématurément ou d’adultes infantilisés ( ces gamins de 50 ans comme chantait jacques Brel )
Il y a à court terme un marché unique qui mélange ados vieillis et adultes infantilisés ( le succès des Bd adultes et de Harry Potter chez les adultes ).
Il ne faut pas avoir peur d’aller franchement à l’assaut de cette immense masse molle, en s’appuyant sur ceux qui  montent derrière et vont les mépriser à leur tour et aussi sur les jeunes des pays nouveaux ou en reconstruction.
Le quartier Latin et Paris ne sont plus qu’un petit village de mauvaises commères dépassées par les événements ….( mondialisation )


- Merci Gérard de nous avoir consacré un peu de votre temps si précieux.
En guise de conclusion je livrerai aux lecteurs ce texte d'un de vos messages qui s'inscrit bien dans l'esprit de de ce que vous venez de nous dire :

"Alain disait que le grand moteur de la pédagogie était l'admiration !
je dirais la même chose pour l'éducation en général, c'est tout
le problème des adultes aujourd'hui ! comment les admirer, eux qui ont
souvent glissés et renoncés ! sont-ils crédibles ? sans vouloir les juger
non plus (et je me met aussi dedans en faisant mon examen de conscience)
nous avons besoin de fréquentes remises en causes ! combien de temps
les jeunes vont ils être abandonnés sur l'étal de la médiocrité ?
La bande des Ayacks qui bouscule est plus vivante que jamais ! la révolte
est saine , si elle est bien dirigée.... 68 a été un psycho drame , une caricature de révolution, un hoquet de l'histoire, qui a accouché d'une génération qui laissera de tristes traces, comme un sida de la qualité et des valeurs.
Rien n'a été épargné et aujourd'hui nous n'arrivons plus
à sortir des décombres.
Le devoir est d'empêcher notre jeunesse de couler.

Bonne chance et merci Mic"




Gérard Viguié
La caravane de l'espoir, NSDP 113 (1987)
Le fils du Lion, NSDP 142 (1988)
Les chemins du Ouaddaï, collection Campus 1 (2005)


 

©2005 Michel Bonvalet