De la bagarre au Djihad a travers un siècle de   romans pour adolescents.


Yan


J’ai été frappé ces derniers temps par l’apparition dans la littérature jeunesse d’un nouveau type de romans dans lesquels des adolescents tuent d’autre adolescents. Je vais dans cette courte étude tenter de montrer l’évolution de la violence physique dans des romans pour adolescents édités entre 1913 et aujourd’hui et faire un parallèle avec certain aspect de la propagande de l’Etat Islamique (Daech) (1). N’étant ni un spécialiste de l’adolescence, ni un spécialiste de l’Islam, ni un spécialiste de Daech, mes observations seront celles d’un simple lecteur de romans pour adolescents et de quelqu'un qui a parcouru les numéros de Daral-Islam (la revue francophone de Daech). Je précise, pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté, que je n’ai aucune sympathie envers une organisation criminelle comme Daech et que si j’ai pris la peine de lire leur journal (que l’on trouve en ligne en quelques clics avec l’aide d’un moteur de recherche) c’est pour essayer de comprendre comment des jeunes français pouvaient adhérer à une telle idéologie.

Pour cette étude je vais m´appuyer sur des romans d’aventure mettant en scènes des adolescents. Ces ouvrages seront les romans “Boy-scouts’’ de De La Hire (romans parus entre 1913 et 1955), des romans de la collection Signe de Piste (parus entre environ 1935 et 1975) et sur des livres parus ces 15 dernières années.

Il semble que le premier roman jeunesse mettant en scène des adolescents tuant d’autres adolescents soit Battle Royale (2), ouvrage paru au japon en 1999, un roman américain Hunger Game (3) paru aux U.S.A. en 2008 en reprendra la trame. Dans ces deux romans, dans un monde proche temporellement du notre, un pouvoir totalitaire oblige des jeunes choisis au hasard à s’entretuer dans un espace clos et sous le regard de caméras de télévision, un seul devant survivre.

Pour un habitué de la littérature jeunesse francophone ce qui est nouveau dans ces romans ce ne sont pas les combats entre jeunes mais leur nature et leur forme. Dans les romans de la collection Signe de Piste c’est fréquemment que des garçons se battent, mais leurs combats ne sont pas du tout de même nature.




Dans Crozaguil de Loïc Ervoan (Signe de Piste, 1960) ou dans les romans de Jean-Louis Foncine (voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Louis_Foncine) il y a souvent un épisode où suite à un différent ou à un conflit d’autorité deux garçons se battent. Mais il s’agit de combat à la loyale et presque toujours il s’agit de lutte à mains nues. Il s’agit de combats s’apparentant à ceux de deux lutteurs dans un club sportif. Quand dans les mêmes romans deux groupes de jeunes s’affrontent physiquement tout au plus sortent quelques foulards noués ou branches coupées en guise d’arme, cela entraînant au pire des blessures légères qui seront vite soignées avec un peu de mercurochrome, d'autant que, valeurs chevaleresques obligent, on ne frappe pas dans le dos ni un adversaire à terre. Dans d’autres romans de la collection Signe de Piste on trouve quelques combats de boxe, guère différents de ceux d’un club de sport, et si on trouve des jeunes une arme à la main c’est qu’il s’agit d’un récit se passant dans un lointain passé. Prenons comme exemple un roman de 1974, l’un de ceux de la collection où le héros adolescent se bat le plus souvent «Les Seigneurs de la nuit» d’Eric Gali (Signe de Piste, 1974). Dans ce roman, Renaud, jeune apprenti chevalier du Moyen Age se bat à plusieurs reprises, soit contre d’autres jeunes, soit contre des adultes. Il se bat deux fois contre son ennemi intime Henry, un autre jeune apprenti chevalier. La première fois, lors de leur formation, c’est à la fin d’un entraînement à l’épée où Henry agresse Renaud et où ils finissent par se battre à mains nues. Pour régler définitivement leur différent Renaud provoque Henry pour un nouveau combat, lors de ce deuxième combat, toujours sans armes, ils se cognent durement et sans concession et terminnte par une lutte au corps à corps. Tout ceci étant assez semblable à ce que serait sur un ring un combat de M.M.A. L’autre fois où Renaud se bat avec un garçon de son âge c’est à l’occasion d’une rencontre fortuite avec une bande de jeunes errants sur les routes. Le chef pour le tester lui fait faire un combat de boxe avec un membre de la bande. Là encore rien de bien dangereux et à la fin du combat les deux garçons se serrent la main. C’est seulement contre des adultes qu’il manie l’épée et contraint et forcé tue son adversaire, la première fois la victime est un bandit de grand chemin surprit en train de rançonner un marchand, la seconde c’est dans un combat à mort contre un chevalier félon. Dans cette littérature les scènes gores sont inexistantes ou presque, une des seules relevées est dans un récit historique se passant pendant la guerre de cent ans  lors d’une bataille où participent les jeunes héros; et encore il ne s’agit que de quelques lignes (Les Aiglons de Montrevel de Serge Dalens et Louis Simon, Signe de Piste 1959).


                                                            Illustration extraite de Crozaguil


La vision du monde que donne la plupart des romans de la collection Signe de Piste est plutôt positive, certes tout n’est pas parfait, il y a des conflits sociaux (Le Coup d’envoi de Philippe Avron), des guerres (La mort d’Eric de Serge Dalens, 1943), du racisme (Le Cœur et la pierre de Mohamed Amin, 1973) et des parents plus bêtes que méchants (La bande des Ayacks de Jean-Louis Foncine, 1938) mais les jeunes se mobilisent pour un monde meilleur et des lendemains qui chantent. Quand un jeune se bat dans un Signe de Piste ce n’est jamais pour survivre mais lors d’un grand jeu (scout le plus souvent) ou pour réparer une injustice. On verra dans la suite de cette étude qu’il en est tout autrement dans certain romans de ce début de XXI ème siècle.


   

Photo extraite du film tirée du roman Battle Royale


Dans Battle Royale (2), Hunger Game (3) et quelques autres romans récents où des adolescents se battent et tuent pour survivre, à la différence des romans Signe de Piste où la bagarre est une affaire de garçons (4) ; les filles s’y mettent aussi. Les protagonistes de ces romans vivent sous la coupe d’une caste de privilégiés sans scrupules, qui oppriment la masse de la population. C’est contraints et forcés qu’ils sont appelés à se battre. Dans ces romans il ne s’agit plus de jouer ou de régler un désaccord par un combat sans grave conséquence; il s’agit de se battre pour survivre et pour cela il faut tuer. Et quand on se bat pour tuer, tous les moyens sont bons, combats à mains nus, armes blanches, armes à feu, objets tranchants, objets lourds, traitrise etc. Si on fait alliance avec un autre participant c’est purement tactique, et une fois éliminés les autres concurrents, c’est entre partenaires que l’on s’entretuera. Dans ces romans il y a des scènes sanglantes, des blessures graves, des membres coupés...

Une autre série de romans est apparu ces dernières années où des adolescents tiennent des rôles généralement tenus par des adultes comme par exemples agent secret ou garde du corps. Dans cette catégorie on retrouve par exemple trois séries d’auteurs anglais, Cherub de Robert Muchamore (5), Bodyguard de Chris Bradford (6) et Alex Rider de Anthony Horowitz (https://fr.wikipedia.org/wiki/Alex_Rider).

Alex Rider est une sorte de James Bond adolescent, ses aventures sont parfois réalistes, parfois un peu extrêmes (dans un épisode par exemple il fait un tour dans l’espace). C’est un expert en arts martiaux et il est quelquefois appelé à se battre. Si parfois un adulte lui tire dessus, il évite toujours les balles et lui se bat toujours sans armes. Il y a quelques morts dans la série, mais relativement peu, et si dans le dernier volume il se retrouve malgré lui une arme à la main, il ne s’en servira pas.

Dans les Chérub et les Bodyguards (et quelques autres séries de romans du même genre) ont a affaire à de véritables écoles où des jeunes (filles et garçons) apprennent en plus des matières traditionnelles leur futur métier d’espion ou de garde du corps. Dans ces écoles, entre autre, ils apprennent à se battre (bien que le héros de Bodyguard soit déjà champion junior de kick boxing avant d’être recruté) mais uniquement à mains nus, jamais avec une arme à feu. Le but est de neutraliser un adversaire pas de le blesser ou de le tuer ; même si certains combats peuvent parfois êtres un peu brutaux. Dans ces roman les jeunes sont volontaires (sauf Alex Rider dont les services secrets britanniques force un peu le volontariat) et si ils se battent c’est pour défendre la veuve et l’orphelin, mettre hors d’état de nuire les méchants (trafiquants de drogues, passeurs clandestins, kidnappeurs etc.) et combattre pour un monde meilleur. Leurs buts ne sont guère différents de ceux des héros des Signes de Pistes, la seule différence est qu’ils ont remplacé dans les bagarres la lutte et la boxe anglaise par le jujitsu et la boxe thaï.

Tout différent est un roman comme « Le programme » (7). Le héros de cette série est un adolescent programmé et entraîné pour tuer. On lui indique sa cible et il l’exécute. Comme tout ne se passe pas toujours comme l’aurait souhaité ses commanditaires il finira par reprendre son indépendance et sera amené à se battre à mort avec d’autres jeunes tueurs du programme. On peut faire le parallèle avec d’autres jeunes endoctrinés qui au nom d’un islam dévoyé, en arrivent à commettre des meurtres en plein Paris.



Photo extraite du numéro 8 (février 2016) de Daral-Islam


Dans Endgame de James Frey (8) c’est douze jeunes qui représentent chacun sa tribu. A l’issue d’un cataclysme seul la tribu du jeune qui aura éliminé tous les autres survivra. La traque meurtrière se déroule sur la terre entière. Le plus jeune Baitsakhan à 13 ans et il aime tuer. Quand il surprend Kala, il pourrait la tuer par surprise d’un coup de pistolet mais il trouve plus amusant de se battre sauvagement avec elle pour avoir le plaisir à l’issue du combat de l’achever avec son poignard. Son rival Shang avant de devenir un adepte de l’assassinat par explosif a, durant son entrainement, pour se venger de mauvais traitements, tué son père et son oncle en les surprenants dans leur sommeil et en les aspergeant d’alcool avant de gratter une allumette. Dans ce roman ces scènes ne sont pas juste évoquées mais au contraire longuement décrites.

Le scénario de ce roman : une apocalypse dont seuls les meilleurs guerriers survivront est également un des thèmes de la propagande de Daech :

«Ce hadîth nous montre qu’à la fin des temps seront préservés des troubles ceux qui prennent l’épée pour combattre les ennemis d’Allâh et ceux qui font allégeance au Calife des musulmans.» (Daral-Islam n°2 , mars 2015 page 5)

Comme dans Endgame pour Daech tous les moyens sont bons pour éliminer ses ennemis :

«Si tu ne peux pas par l’explosif ou la balle, alors isole toi avec l’américain ou le français mécréant ou n’im­porte lequel de leurs alliés, écrase leurs têtes avec une pierre ou égorge-les avec un couteau, écrase-le avec ta voiture ou pousse-le d’une montagne ou étrangle-le ou empoisonne-le. Ne désespère pas, ne faiblis pas et que ton slogan soit : « Que je meure si l’adorateur de la croix ou le partisan du Tâghoût vit ». Si tu ne peux pas alors brûle sa maison, sa voiture ou son commerce. Si tu ne peux pas, fais périr ses cultures. Et si tu ne peux pas crâche-lui sur le visage.» (Daral-Islam n° 2 page 6)

Endgame a un point commun avec une série de romans du début du 20 eme siècle c’est de se déroulé à travers toute la planète. Dans les séries de romans « Boys Scouts » de Jean de La Hire (https://fr.wikipedia.org/wiki/Adolphe_d'Espie) parues de 1913 (Les trois boy-scouts) aux années 1950 (Les 3 scouts) l’histoire est pratiquement toujours la même. Dans ces séries de romans plusieurs équipes de scouts de diverses nationalités sont en compétition à travers la planète. Les vainqueurs étant ceux qui rejoignent Paris les premiers. A travers le monde ils leur arrivent diverses aventures et il leur faut souvent se battre. La plupart du temps ces combats sont contre des bandits ou des tribus, parfois décrites comme encore anthropophages. Ces jeunes gens sont des adeptes des armes à feu et ils n’hésitent pas à s’en servir quand il s’agit d’abattre des indigènes décrit comme sauvages ; mais en ces temps coloniaux, pour nos jeunes « civilisés » seule la vie des européens avaient de la valeur. Une fois dans un bouge d’Amérique du Sud un des scouts se battra au couteau avec une petite frappe mais sans doute parce que c’est un blanc il se contentera de la mettre hors de combat et de l’emprisonner. Il est rare que les scouts se battent entre eux mais cela arrive parfois. C’est souvent pour désigner l’équipe qui pourra utiliser un moyen de locomotion (automobile, avion, bateau) et cela donne lieu a des joutes sportives où entre autre épreuve peuvent figurer la lutte et la boxe. Chez De La Hire les jeunes héros n’hésitent pas à tuer des adultes de tribus dites sauvages mais entre jeunes blancs on se bat à main nus dans des combats arbitrés où on se contente de compter les points.

La vision « survivaliste » développée dans quelques uns de ces romans rejoint en partie certain aspect de la propagande de l’État Islamique.

           

Par contre là ou ces romans divergent de cette propagande c’est sur la place dévolue à la femme et sur l’homosexualité. Dans ces romans les femmes combattent comme les hommes alors que pour Daech le rôle de la femme est surtout d’enfanter. Dans certain romans (entre autres dans la série Chérub) il y a des homosexuels traités à l'égal des hétérosexuels alors que Daech condamne l’homosexualité ainsi que l’avortement (sujet absent dans ces romans).

Quand on feuillette Daral-Islam , la revue francophone de propagande de Daech ce qui frappe c’est l’iconographie : nombreuses photos d’homme en treillis, souvent l’arme à la main ; de chars d’assaut et autre engin militaire. Cette revue à travers une phraséologie religieuse (que l’immense majorité des musulmans juge comme une interprétation erronée de l’Islam), entre autre, exalte la guerre et le combat en des termes qui font penser à la propagande nazis. Parmi d’autre voici un extrait de cette propagande :

«Parmi les plus grands piliers sur lesquels repose le système ṭâghût contemporain figure ce qu’il nomme l’éducation obligatoire. Cette « éducation », dans le cas de la France en particulier, est un moyen de propagande servant à imposer le mode de pensée corrompu établi par la judéo-maçonnerie. Le but de cette « éducation » est de cultiver chez les masses l’ignorance de la vraie religion et des valeurs morales telles que l’amour de la famille, la chasteté, la pu­deur, le courage et la virilité chez les garçons.»

(Daral-Islam, n° 7, novembre 2015, page 12)


Je n’ai fait,dans cette article, que souligner l’évolution d’un seul aspect de cette littérature pour adolescents. Les bagarres et autre combats ne sont qu’un aspect de l’intrigue de ces romans, parfois très mineurs, parfois ils en sont la trame principale.

Yan


Notes :

1. Dans cet article l’État Islamique sera désigné sous cette appellation ou sous celle de Daech. Sur cette organisation voir https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tat_islamique_%28organisation%29

  1. Battle Royale de Kōshun Takami (1999) traduction française de Patrick Honnoré, Testsuya Yano et Simon Nozay (Calmann Lévy, 2006 ; Livre de Poche 2008) voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Battle_Royale_%28roman%29

  2. Hunger Game de Suzanne Collins traduction française de Guillaume Fournier (Pocket Jeunesse 2009) voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Hunger_Games_%28trilogie%29

4. Une des de rares exceptions est le roman de Jean-Louis Foncine, La forêt qui n’en finit pas (1949), où des filles aussi se battent y comprit contre des garçons.

5. Le premier livre de la série «100 jours en enfer» est paru en anglais en 2004, et traduit en français par Antoine Pinchot en 2007. Voir https://fr.wikipedia.org/wiki/CHERUB

6. Série de plusieurs romans, en cour de publication, où un jeune de 14 ans, champion de kick boxing, est recruté pour servir de garde du corps à des enfants de personnalités. Premier volume paru en anglais en 2013, traduction française de Antoine Pinchot (Casterman, 2015). Site, en anglais, sur cette série : http://www.chrisbradford.co.uk/bodyguard-series/

7. The unknown assassin de l’américain Allen Zadoff, traduit en français par Helene Borraz sous le titre Le Programme (Albin Michel, 2014). Site, en anglais : http://www.allenzadoff.com/

8. Endgame de James Frey et Nils Johnson-Shelton début de parution en octobre 2014 traduction française de Jean Esch (Gallimard Jeunesse, 2014). Site http://www.gallimard-jeunesse.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Grand-format-litterature/Romans-Ado/Endgame voir aussi http://next.liberation.fr/culture-next/2015/11/13/endgame-avis-de-grand-frey_1412875