fiche lecture

Bendogueï perle noire

Paul Azy

Philippe Maurel


Les meilleurs elixirs sont-ils ceux qui reposent dans les vieux flacons? Réponse affirmative, et pour preuve ce roman à la cinquantaine bien tassée, "Bendogueï perle noire" de Paul Azy. L'habitude a pourtant été prise de traiter avec une ironique condescendance ces préretraités de la littérature de jeunesse: charme désuet, petite musique nostalgique, sensibilité d'un autre âge. Autant d'impressions douceureuses pour pointer la disharmonie entre les oeuvres contemporaines et celles-ci. Un peu comme si tous les héros étaient campés comme des modèles archétypaux sans lien véritable avec la réalité. Tels qu'ils devraient être et non pas tels qu'ils sont.
Mais le retour de balancier est bien là qui fait prévaloir des valeurs stables et intemporelles sur toute morale préfabriquée et circonstancielle secrétée par l'air du temps, la moraline comme aurait dit un philosophe. D'où le regain d'intérêt que l'on peut trouver à un roman comme celui-ci: une armature d'idéaux simples mais solides qui serviront de cerclage à une destinée. Ce qui n'empêche d'ailleurs que des thèmes très contemporains irriguent le récit: la question de l'autre, celle de la construction d'une identité, celle de la marginalité et de l'intégration. L'avantage est que Paul Azy n'élabore pas son maillage thématique au fer à souder mais avec un art consommé du point de croix et la confiante solidité de l'esthète.

             
 
Qui est Bendogueï? Un enfant noir qui devra subir les épreuves du cheminement vers la maturité comme dans le roman au titre éponyme de Caraman Laye. Sauf qu'il vit en France vers le milieu du siècle dernier. Sans filiation connue, sa couleur de peau est son unique viatique, son seul repère identitaire au point de ne jamais s'offusquer lorsqu'il est affublé du sobriquet de "cirage" par les autres pensionnaires de l'institution qui l'accueille, le centre Bernon, à mi-chemin entre la colonie pénitentiaire, l'orphelinat et le pensionnat. Y être admis est déjà un marqueur de marginalité et lorsque le meilleur ami de Ben doit partir, l'établissement devient pour lui un catalyseur de solitude et ajoute un verrou supplémentaire à l'univers carcéral dans lequel il vit. Renouer avec l'ami disparu devient alors pour l'adolescent délaissé une question de survie. Mais le contact s'effectuera par l'intermédiaire de jeunes garçons plutôt mal intentionnés. L'appel de la liberté tourne au cauchemar quand les deux amis, une fois réunis, seront les victimes d'une manipulation qui leur fera commettre un cambriolage au cours duquel l'un d'eux sera blessé. Mais les policiers qui mènent l'enquête vont éprouver, bien avant l'ouverture d'un éventuel procès,  le sens de la justice humaine, dégrossie de son poids de formalisme et d'autorité aveugle, car le maître d'oeuvre de ce forfait, dont un officier de police a été la victime, n'est autre que son propre fils.
Pour le délinquant en herbe, le retour au centre est la seule perspective qui lui reste. Mais il y aura un avant et un après, une césure dans l'échelle du temps qui marquera une étape dans son parcours. L'aventure qu'auront connu tous ces adolescents brouillera à jamais la conception qu'ils se faisaient des frontières entre liberté et enfermement. Subir la contrainte d'un lieu ne sera plus forcément synonyme d'emprisonnement, et de la même manière, l'émancipation ne passera pas nécessairement par l'affranchissement d'un ancrage géographique.
L'intrigue est, ainsi, constamment sous-tendue par cette seule question: où se situe le coeur de l'aliénation? Le véritable enfermement est-il bien celui qui s'éprouve de la manière la plus prégnante? Est-ce dedans ou dehors? A moins que la réponse ne désigne, en dernière instance, un ailleurs immatériel. On ne voit bien qu'avec le coeur, l'essentiel est invisible pour les yeux disait déjà Saint Exupéry dans "Le petit prince". Il apparaîtra finalement au jeune héros que les murs ne sont pas les seules barrières entre les hommes et que ceux qui cloisonnent les esprits ne sont pas les moins infranchissables. Pourtant, là où s'arrêtent les murs d'enceinte du centre Bernon commence la vie, le monde, et dans une perception fantasmée, la liberté. La ville, c'est un peu l'amérique mythifiée des disparus de Saint Agil. Comme eux, Bendogueï n'a réussi qu'à se forger une identité de fortune à partir de quelques jalons d'une histoire personnelle chaotique. Au delà des portes de l'établissement, il y a les rêves, et comme celui des pensionnaires de Saint Agil s'échouait dans un atelier de fausse monnaie, ceux de Bendogueï s'enliseront dans un cambriolage calamiteux.
 
Mais, dans le roman, il n'y a pas que les adolescents qui soient confrontés à l'évanescence des repères sociaux. Les adultes aussi sont logés à la même enseigne et portent, chacun, leur fardeau de névrose existentielle. Au point quelquefois de devenir les agents d'une maïeutique compassionnelle qui abolit les limites entre responable et victime, entre culpabilité et innocence, en laissant affleurer la quintescence d'une humanité blessée mais encore riche de promesses. Le fils du policier, gardien de l'ordre par atavisme, se retrouve complice d'un délit, action qui sera aussi le levier d'accès à un salut rédempteur.
De fait, les catégories sociales auxquelles appartiennent les personnages, se lancent mutuellement des passerelles, inspirées qu'elles sont de ce goût des autres qui favorisera leur rencontre. Bendogueï c'est d'abord l'hisoire de deux gamins déshérités, déjà sur la voie de garage d'une marginalité programmée, qui vont entremêler leurs destins à ceux de personnes qui n'étaient en rien prédestinnées à cet écart de trajectoire. Ce qui paraissait, au départ, une série de coïncidences, se présente, dans cette optique,  comme les joints de soudure d'une intrigue toute entière habitée par la fatalité d'une rencontre entre des êtres différents.
La confrontation qui s'ensuit n'est donc pas celle qui oppose le bien et le mal. Paul Azy évite le piège d'un manichéïsme réducteur en faisant du mal l'instrument d'une orientation vers la voie d'une apaisante rédemption. Lorsqu'il arrive à des protagonistes d'en venir aux mains, c'est pour finalement mieux consolider les liens d'amitiés qui s'esquissent en filigrane de leur rencontre. On retrouvera plus tard le même thème magnifié dans "Les gants de cuir".
 
L'auteur excelle aussi dans une mise en scène subtile des contrastes. C'est par ce biais qu'est mis en évidence le dépassement par chacun de sa propre condition. D'où mon désaccord avec le commentaire figurant sur la jacquette de couverture (au demeurant magnifiquement illustrée par Michel Gourlier) et qui présente le mutisme de Bendogueï comme un obstacle légitime à l'adhésion du lecteur au personnage. Tout au contraire, son cheminement au cours de l'action parle pour lui. Ce n'est pas un être statique et l'expérience subie fécondera sa propre évolution comme lui même fécondera aussi celle des autres.
 
Dans son roman, Paul Azy ne fait pas oublier qu'il est un homme d'Eglise. Il parsème ainsi son récit de touches évangéliques qui sont autant de points d'appui pour orienter les perspectives. La maladie est ainsi un thème transversal aux différents livres qu'il a publié au SDP. Ici, l'affection pathologique frappe le fils du chef de la police (ce sera aussi le cas de Karim dans les "gants de cuir" et d'un autre personnage de "JJR à l'affiche"). La souffrance engendrée par la maladie a constamment partie liée avec une ascèse morale et spirituelle de celui qui l'endure. L'épreuve physique est ainsi le gage d'un processus d'élévation, la semence d'une transfiguration. Le roman est  imprégné de cette quête qui fait se rapprocher les êtres à la simple évocation d'une parole sacrée (celle dont Ben est économe)  qui se cache derrière tout échange verbal et qui, dès son prononcé, manifeste son pouvoir de guérison. Un peu comme le tribun romain dans l'épisode évangélique.
La scène qui termine le livre est également illuminée par ces connotations proprement religieuses. Il s'agit d'un match de foot. Bendogueï s'y révèle particulièrement habile et devient ainsi un joueur prometteur qui lui vaudra un nouveau surnom, celui de "perle noire" qui donne son titre à l'ouvrage. Telle que décrit par l'auteur, le jeu est moins une activité ludique que l'occasion d'un échange, d'une communion au sens propre comme au sens lithurgique du terme. Il fallait le souffle et l'inspiration, à la fois épique et spirituelle de Paul Azy pour faire ressentir au lecteur ce qu'une simple partie de ballon peut receler de sens cachés, sans pour autant alourdir la narration d'un poids de gravité qui la rendrait opaque.
 
Voilà un trés beau livre. Il n'a peut être pas la touche de modernisme qui suscite spontanément l'intérêt des jeunes lecteurs. Qu'importe! Il constitue au moins la preuve que la collection sert encore d'écrin à de petits bijoux comme cette perle noire appelée Bendogueï.

Paul Azy a écrit:

Bendoguei, perle noire Signe de Piste 1958
JJR à l'affiche                        --      1959
Les gants de cuir                   --        1972
Stéphan, le fils de l'entraîneur  --    1978

Les héritiers du Libertador              --     1989
Prénom Léonard (à compte d'auteur)     1997

Commentaires d'Alain Gout:

Après lecture de cette analyse, Alain Gout Directeur littéraire des éditions Delahaye (Signe de Piste et albums Joubert) nous a adressé sur le forum ce commentaire qui apporte quelques éclaircissements supplémentaires sur l'auteur Paul Azy:


"Bravo pour cette analyse très fine et perspicace de "Bendogueï" !

Très fine, car elle souligne la subtilité d'écriture de Paul Azy.

Cette subtilité, elle vient de l'homme Paul Azy et de son parcours.

Paul, c'était l'abbé Paul Langeron, modeste prêtre de Bourges, et Azy, c'était le nom du petit village de la ''champagne'' berrichonne qui entoure la ville de Bourges, où il était né.

Il a eu, toute sa vie, deux passions : la musique et l'éducation. Il les a réalisées en dirigeant la maîtrise de la cathédrale de Bourges et le collège qui y était attaché, dans lequel les petits chanteurs faisaient leurs études. C'est l'une des rares maîtrises de cathédrale, en France (avec Notre-Dame de Paris), à avoir conservé son école maîtrisienne après l'hécatombe de la Révolution. Et, en plus, sa maîtrise chantait bien, ce qui n'était pas toujours le cas à l'époque où j'ai fait sa connaissance, dans les années 70-80. 

Avec la maîtrise, il assouvissait sa passion de la belle musique ; avec le collège, il mettait en pratique sa passion de l'éducation. Avant d'être un directeur et un enseignant, c'était un éducateur, et il suivait personnellement chaque enfant, se souciant de son développement personnel autant, voire plus que de ses études. J'ai vu a plusieurs reprises, lors de fêtes de fin d'années, la chaleur et la reconnaissance de parents d'élèves qui le remerciaient pour l'épanouissement de leur gamin. Nombre de ces parents étaient aussi d'anciens petits chanteurs.

Un jour, il me montra du doigt l'un d'eux, avec un petit sourire, et il me dit : " Vous voyez ce père de famille, et bien c'est... J.J.R ! " Car J.J.R. n'était pas qu'un personnage de fiction. 

La trame de ses romans était tissée des fils de la vie. Ses personnages, c'étaient les enfants qu'il avait croisés et dont il éproucait besoin de conter l'histoire afin de témoigner des drames qu'il avait vus, et pour montrer par quels combats certains enfants pouvaient passer avant de devenir hommes. Il avait cela en commun avec Jean d'Izieu, comme avec nombre d'auteurs de la collection qui, comme eux, étaient des éducateurs-écrivains.

Oui, perspicace l'analyse de Philippe, car il a touché du doigt le réel dont sont faits les romans de Paul Azy. La Mané de Bourges, c'était un mélange de "Cage aux Rossignols" et de "Disparus de Saint-Agil". Dépassé ? Certes non, délicieusement suranné peut-être, mais c'est le parfum du Temps."

On peut découvrir sur le Net un hommage à Monseigneur Langeron avec sa maitrise : Cliquer ici

 


©2010 Philippe Maurel