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fiche lecture
Les bienveillantes
Jonathan Littell
Tout le monde
a entendu parler de ce formidable roman, et tout le monde a donc son avis
dessus, surtout s’il ne l’a pas lu ! La critique littéraire s’en est
donnée à cœur joie, mais aucun, à ma connaissance, n’a
relevé qu’il s’agit aussi d’un formidable roman d’aventures !
Si l’on en croit
Robert-Louis Stevenson, l’auteur de l’Île au trésor (un spécialiste
donc) « les personnages ne doivent être dotés que d'un
seul registre de qualité : le guerrier, le formidable. Dans la mesure
où ils apparaissent insidieux dans la fourberie et fatals dans le
combat, ils ont bien servi à leur fin. Le danger est la matière
de ce genre de roman ; la peur, la passion dont il se moque. Et les personnages
ne sont dessinés que dans le seul but de rendre le sens du danger
et de provoquer l'attrait de la peur. Ajouter plus de traits qu'il n'en faut,
être trop malin, courir le lièvre de la visée morale
ou intellectuelle alors que nous chassons le renard des intérêts
matériels, voilà qui n'est pas pour enrichir mais pour ôter
toute valeur à votre histoire (Essais sur l'art de la fiction).
Et tel est bien
le cas de Max Aue, le héros du roman. Nazi par accident, technicien
de la Solution finale sans enthousiasme, il représente l’homme ordinaire
projeté dans une aventure extraordinaire, le déclassé
participant à l’Histoire sans trop savoir pourquoi, le héros
ou le criminel malgré lui, devenant acteur de la dernière Aventure
européenne et qui faillit être fatale au continent…
Hanté
par l’inceste dont découle une homosexualité dissimulée,
Max se balade avec les Einsatzgruppen en Pologne et en Ukraine, trempant
dans les prémices sanglantes du plus monstrueux crime de masse imaginable…
On a beaucoup
reproché à l’auteur ses descriptions de l’horreur, mais comment
la faire sentir au lecteur si ce n’est en l’auscultant, en empilant les exactions,
les crimes, les comptes rendus de l’industrialisation croissante de cet Holocauste
?
Passant de Berlin
à Stalingrad, de Cracovie à Auschwitz, il contemple les pendaisons,
les exécutions dans la rue, rencontre Eichmann dont il rend admirablement
la banalité (au sens d’Hannah Arendt), accumulant les épisodes,
les anecdotes, jusqu’à l’effondrement final dans l’enfer berlinois
de 1945…
Il monte en
grade tranquillement, rencontre Rebatet à Paris, en profite pour quasiment
coucher avec Brasillach…
On retrouve
là une des ficelles les plus éprouvées du roman picaresque,
ancêtre du roman d’aventures, enfilade d’historiettes pouvant presque
se lire indépendamment les unes des autres.
Alors oui, roman
d’aventures, pour adulte certainement et encore… Comment pouvoir encore convaincre
un adolescent de s’intéresser réellement à l’histoire
de la Shoah si ce n’est à travers un roman diablement bien troussé,
sans ambivalence idéologique ou complaisance, n’en déplaise
à Claude Lanzmann et ses réactions si décevantes…
Pour qui connaît
un peu la question, on retrouvera sans peine les emprunts faits par l’auteur
à Raul Hillberg et son formidable ouvrage « La destruction des
juifs d’Europe », ou à Marc Hillel et son bouquin paru en 1975
sur les Lebensborn « Au nom de la race » entre autres…
J’y ai même
décelé une erreur dès le début lorsqu’il cite
les hagiographes français de la geste SS Jean Mabire et Henri Landemer,
car mon petit doigt me dit qu’il ne s’agirait en fait que d’une seule et
même personne…
Le roman d’aventures
revient, sous la forme de ce roman, mais aussi de la plupart des fictions
de Maurice G. Dantec, écrivain maudit autoproclamé et grand
conteur halluciné. C’est une bonne nouvelle, pour nous, amateurs de
ce genre, mais aussi pour la littérature française.
Editions Gallimard
Prix Goncourt 2006
©2006 Alain Jamot |
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