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fiche
lecture
CAP au Sud
Alain Arvel
& Jean-Paul Benoit
Philippe Maurel
Cet ouvrage appartient à la veine
maritime des romans de jeunesse et raconte l’histoire d’un jeune mousse
embarqué, un peu malgré lui, sur une goélette en 1820,
pour un voyage au long cours qui le conduira de la méditerranée
(belle évocation de Toulon sous la restauration) jusqu’aux cotes Africaines.
Il a donc une parenté thématique avec des romans comme «
Shawn la baleine » « Le dernier voyage
du Biliken » ou « Les vagabonds du pacifique »
et d’autres encore répartis dans diverses collections.
L’histoire est
simple : Gerald, un jeune garçon de 14 ans est au lycée quand
il apprend la mort de son père, un capitaine au long cours. Il doit
donc apprendre le métier de marin dans la perspective d’un jour lui
succéder et, pour ce faire, il embarque comme mousse sur le bateau
qu’il sera appelé plus tard à commander (A noter que cette
introduction est identique à celle de « Tempête sur
Nampilly » : un adolescent qu’on extrait de son établissement
pour affronter la réalité du monde. Le postulat dans les deux
romans est le même : l’expérience de la vie commence par une
rupture avec le savoir livresque et désincarné et s’appréhende
comme un premier acte d’émancipation). Il y rencontre un autre mousse
de son âge, Michel, avec lequel il va lier amitié et ensemble
ils vont subir le dur apprentissage de la vie de marin sous l’autorité
inflexible du capitaine, obligé de jouer les tuteurs le temps d’une
bordée.
Roman maritime,
mais d’une certaine manière anti-roman d’aventure. Aucune découverte,
pas d’exploration d’un territoire inconnu, l’évènement n’est
jamais imprévu, et s’il advient c’est qu’il est inscrit dans les données
de base du cycle de formation. Rien dans l’intrigue ne dévie la trajectoire
d’une conduite programmée. « Cap au sud » est un navire
romanesque qui ne trempe pas son étrave dans une mer démontée
sous les 40° rugissants. Il ne navigue pas sous les mêmes latitudes
que « Les enfants du capitaine Grant » ou « Deux
ans de vacances ». Ici la bravoure est dans l’abnégation
des héros à assumer un quotidien fait d’un labeur harassant,
de brimades et de châtiments corporels (la garcette). Car pour le mousse,
le voyage n’a rien d’une croisière d’agrément. Et même
dans le registre de l’exotisme, les auteurs prennent le parti d’une description
naturaliste des conditions d’existence à bord. Pas de fioriture, les
belles images sont aussitôt compensées par l’évocation
de certains aspects cruels de la vie à bord. C’est d’ailleurs de ce
contraste assumé entre ces contraintes et les ingrédients,
bien mis en valeur, du récit d’aventure, que naît l’émotion.
Ici, la force de caractère des personnages n’est pas visible au travers
de leurs exploits mais, plus modestement, dans leur capacité à
accomplir leur devoir quotidien. L’obstacle à franchir est perpétuel,
continu et fait du courage une valeur banalisée à force de
sollicitation, et ça n’est pas le moindre talent des auteurs de nous
le faire particulièrement ressentir. L’attachement aux héros
vient de la compassion ou de l’empathie éprouvées pour
ces esclaves volontaires de la mer sans que ne souffle jamais le vent de
l’épopée grandiloquente.
Pas de confrontation
brutale avec la nature. Pas d’effets spéciaux envahissants (allez,
un peu d’anachronisme !). La force des éléments naturels
est domestiquée et n’offre pas matière à dépassement
de soi comme dans « Naufragé volontaire » d’Alain
Bombard. Pas plus qu’on ne prend la tangente vers l’aventure intérieure
ou mystique comme dans les bouquins de Moitessier.
Du coup, on
est plus attentif au cheminement du jeune mousse pour surmonter son désarroi
de se voir imposer un mode de vie qu’il refuse (du moins au départ).
Il n’aime pas la mer. Pas plus qu’il n’aimait ce père lointain et
intermittent dont la mort le laisse un peu indifférent mais dont il
ressent aussi l’absence comme un manque. Comme de nombreux héros du
SDP (ou de Jamboree tant les deux collections entretiennent me semble-t-il
un cousinage de valeurs) l’apprentissage, l’initiation sont un parcours de
résilience (oui, je sais le terme est à la mode), c'est-à-dire
un processus de dépassement d’un traumatisme originel. La psychanalyse
y trouverait son compte : le héros n’éprouve qu’indifférence
pour la mère absente morte trop tôt (la mer ?) et se montre
réfractaire à l’autorité du capitaine (la révolte
contre le père ?). Tout le roman est, sous cet angle, le processus
de réconciliation du jeune Gérald avec lui-même, un baume
passé sur ses blessures narcissiques.
Comme on est
dans un SDP (ou presque), le jeu combinatoire de l’amitié, de la trahison,
du pardon et de la rédemption, diversement dosés, nouent les
fils de l’intrigue. Le tout sur fond de tension avec le reste de l’équipage,
personnage unitaire et choral, qui, jusqu’au renversement final, ne reconnaît
pas le jeune mousse comme membre à part entière de la
famille des marins. Le navire, à l’image d’une île, est un monde
clos où les passions s’échauffent, s’exacerbent et ne trouvent
d’exutoire que dans l’affrontement avec un ennemi commun dans une scène
terminale digne des plus grands tableaux de la flibuste (Le thème
de l’insularité est un autre point commun avec le roman de Saint
Hill où l’action se situe dans un lieu géographique bien
délimité et imperméable à toute influence extérieure).
On aurait sans
doute aimé que les auteurs s’appesantissent un peu plus sur les scrupules
de ce capitaine qui ne répugne pas à s’enrichir en faisant
de la contrebande mais refuse la traite négrière, attitude
en contrariété avec l’esprit de l’époque. Les deux jeunes
héros partagent ces préventions morales sans qu’on sache vraiment
s’ils le font par humanisme ou soumission. On se rappelle alors l’épisode
de « Shawn la baleine » où l’équipage recueille
à bord un « indigène » avec lequel le mousse va
nouer un lien de proximité qui désamorcera les préjugés.
On regrette alors que ce thème de la confrontation, ou du contact
entre deux civilisations, n’ait pas été traité de manière
plus approfondie, ce qui aurait donné davantage de relief aux figures
qui traversent le roman.
L’amitié
entre les deux garçons réunit les contraires même si
le lien ne se construit pas à partir d’un antagonisme. Gérald,
le fils du capitaine armateur subit la même initiation à la
dure que le fils du peuple, Michel. Pourtant leurs destinées seront
appelées à se séparer : l’un prendra la place de son
père et l’autre épousera la fille de son village une fois amassés
les gains qui rétribuent son servage. Le lecteur prolonge ainsi lui-même
le roman futur en imaginant leurs itinéraires divergents ou, caprice
du sort, leur destinée commune.
Le livre, d’une
lecture aisée et qui évite les scories de la surcharge de vocabulaire
technique (à l’inverse de « La bête sans nom »),
est un petit bijou à lire les jours de tempête, ou tout simplement
d’averse, et pourquoi pas un jour de soleil printanier, bref par tous les
temps. Il illustre la grande diversité des romans maritimes qui, des
« Loups de mer » au « Visiteurs de Hambourg
», en passant par ceux déjà cités, auront été
quelques uns des fleurons de la littérature de jeunesse.
Bibliographie
Alain Arvel
Signe de Piste
La Capricieuse, 1958
Xavier la dérive, 1986
Lucky, mon ami, 1995
Sous le pseudonyme de Michel Jansen
Port des brumes,1955
Sous le pseudonyme de Carlo Nada
La bataille du quartier 1977
Collection Jamboree
Thierry tête de fer, 1954
Le Roi Mezel (avec J.-C. Alain), 1954
Le linceul de poupre, 1956
Terre des Ombres, 1957
Cap au Sud (avec J.-P. Benoit), 1963
Sous le pseudonyme de Michel Jansen
Raiders de l'espace (avec J. Erland), 1955
La porte sous les eaux (avec J. Flanders), 1960
Mer des Pluies, 1961
Sous le pseudonyme de André Jouly
Le Prince Milou, 1957
Editeurs divers
Les murs de la ville, éd. Hachette, coll. Poche Rouge (1975)
Jean-Paul Benoit
Signe de Piste
Dany, Médecin des nuages, 1967
Le jour viendra-t-il, Dany? 1968
Le passager de la nuit, 1971
L'appel du matin,1973
Collection Jamboree
La nuit transfigurée, 1958
Les compagnons perdus, 1961
CAP AU SUD
Alain Arvel et Jean-Paul Benoit
Collection Jamboree Ainés
EditionsSPES 1963
©2007 Philippe Maurel |
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