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LA BALLADE DE LA MER SALEE (Hugo Pratt)

Corto Maltese, un héros de notre temps

par Michel Bonvalet

Parler de romans d'aventures c'est aussi aborder la Bande Dessinée, sans laquelle beaucoup de héros n'auraient jamais vu le jour, ni été connus d'autant d'amateurs de textes forts et d'illustrations admirables.
Le sujet peut être développé éternellement, il y en  a tant. Depuis ceux qui ont bercé notre enfance : Bicot et les Rantanplan, Mickey, Tarzan, Red Ryder, Prince Vaillant, Tintin, etc. Ceux qui ont survécu à leurs créateurs sous d'autres plumes : Spirou, Jerry Spring, Blueberry, Buck Danny, Valhardi... ils sont nombreux, de qualité souvent inégale, mais toujours attirants.
Et puis il y a ceux dont la notoriété est plus récente : Thorgal, XIII, Valérian, Largo Winch, Le vagabond des Limbes....
Chaque amateur trouve son dû, collectionne les personnages qui lui conviennent le mieux. Auteurs et Dessinateurs se partagent les fans.
Même la télé n'a pas réussi à effacer les héros de papier et les traite en dessins animés, tandis que le cinéma tente avec plus ou moins de bonheur de leur donner une vie réelle sous les traits d'acteurs connus.
Mais cela n'égale que très rarement la qualité de la petite vignette qui nous a fait rêver.
Le héros le plus représentatif, à mon avis, alors que je suis fan de la plupart y compris Astérix et Achille Talon, est sans conteste CORTO MALTESE, imaginé et dessiné par HUGO PRATT.
Quoi qu'à ce niveau d'osmose, je ne sache plus si je dois parler de Corto ou si Pratt n'est pas lui-même l'aventurier type... leur vie est si intimement liée !


Écrivain, aquarelliste et illustrateur de génie, maître du noir et blanc (ce qui est le comble pour quelqu'un qui manie aussi parfaitement la couleur!), il saisit l'essentiel et le retranscrit sur sa feuille nous entraînant derrière lui à travers le monde dans sa quête d'absolu.
Ses dessins semblent simples, presque simplistes, et certaines de ses  planches font penser, talent en plus, à cette façon que nous avions à l'école de raconter des histoires case après case avec des petits personnages stylisés.
On cherche sans la trouver, la trace du coup de crayon avant encrage, comme si l'artiste avait  tracé directement à l'encre de chine sur sa feuille de Canson, les merveilleux traits noirs sur blanc qui sont toute l'illustration réduite à l'essentiel. Ombres et lumières, un trait souple, une expression dans un oeil suffisent à définir le personnage et ses qualités.
On reste éberlué devant ses formes imprécises qui représentent des nageurs en eau sombre. Il suffit pourtant de cligner des yeux pour voir apparaître distinctement ce que l'eau nous dissimulait... on pense à de l'impressionnisme en noir et blanc !
Et que dire de ses aquarelles qui soulignent parfois des croquis en pages de garde... soldats de la liberté, régiments français et anglais s'opposant durant la guerre de conquête du Canada, indiens en lutte pendant l'épopée de FORT WHEELING ou de BILLY JAMES, soldats anglais et allemands durant la guerre de 39/40 : LES SCORPIONS DU DESERT...
Nous ne sommes jamais déçus de ces couleurs tendres où dominent l'ocre et le rouge et qui soulignent des dessins à la plume .



Ces forêts d'érables rouges et vertes qui donnent la dimension des immensités canadiennes.


On en redemande, on voyage dans le temps et Hugo Pratt ne manque jamais de sortir son bloc d'aquarelle pour nous faire rêver.

Mais l'auteur est à la dimension de l'illustrateur et ses récits sont de véritables épopées ou ne sont comptées ni les pages, ni les cases. Avec lui c'est l'histoire et son développement qui dirige la plume sans contrainte apparente.

Mais quand il crée CORTO, PRATT frise le génie.
Corto... un héros décalé, beau, courageux, mais pirate entouré de personnages aussi douteux que Raspoutine, sosie du moine fanatique, qui n'hésite jamais à tuer même un innocent ,des amateurs de Vaudou, des  fascistes italiens, des moines défroqués, des soldat perdus, des révolutionnaires....

Corto vit dans les trois premières décennies du siècle passé. Eternellement vêtu d'une redingote de capitaine de Steamer, la casquette vissée sur une tête brune au regard vif et perçant, l'oreille gauche arborant une boucle de corsaire. Rien qu'en le voyant on devine qu'il ne pourra jamais mourir dans son lit.

Avec lui, nous parcourons le Pacifique, les mers du sud, l'Océan Indien, Venise,  la Russie blanche et rouge, la Bretagne des légendes celtes ,l'Irlande révolutionnaire, la Turquie... Nous côtoyons Jack London, la franc-maçonnerie ,les poilus dans les tranchées, les aviateurs de 14/18, les derviches tourneurs...tout un monde décrit avec soin par Hugo Pratt.
Tout est propice à énigme, mélange habile de faits historiques et de fictions au travers desquels passe, décontracté et ironique un Corto qui nous aide à découvrir un monde ésotérique réservé aux seuls initiés.
Héros ou anti Héros, Corto est l'aboutissement du rêve des aventuriers en chambre que nous sommes. Il est Monfreid, London, Maufrais, Kessel à lui tout seul, et bien qu'il n'aspire qu'à une paix profonde, il ne l'atteindra qu'avec sa disparition .
TANGO par exemple nous emporte dans l'Argentine qu'à connu Pratt. Corto y revient sur les traces de bandits  célèbres, à la recherche de Louise Brooks...


 

Mais le premier Corto est certainement le plus en rapport avec l'aventure traditionnelle :
LA BALLADE DE LA MER SALEE nous conte l'histoire de deux jeunes gens  recueillis, après le massacre de l'équipage du bateau sur lequel ils voyageaient, par des pirates qui espèrent en tirer rançon parce qu'ils sont anglais.
La guerre fait rage en Europe et les mers du sud sont le théâtre d'affrontements entre la flotte anglaise et allemande.
Les pirates sont sous les ordres du mystérieux "Moine" à la force athlétique et au visage dissimulé, même de ses subordonnés. Raspoutine, Corto Maltese et le japonais Taki sont les capitaines des bateaux de sa flotille qui écume les mers du sud.
Une fois leurs forfaits accomplis, ils se réfugient dans l'île Escondida, inconnue sur les cartes maritime de l'amirauté britannique.
Les jeunes gens, Caïn et Pandora sont les enfants d'un lord anglais et les neveux de l'Amiral qui dirige la flotte lancé à la recherche du fameux Moine.
Ce dernier ravitaille les navires corsaires allemands.
Le lieutenant Slutter, brillant officier de la Kriegsmarine, obligé de s'allier au Moine, tente de conserver son honneur au milieu des flibustiers.
Lui et Corto sont amoureux de Pandora qui cherche à les séduire pour obtenir de l'aide pour son frère et elle.
Pourtant le corsaire à l'anneau à l'oreille lui fait peur....
Je n'en dirai pas plus car l'histoire va prendre de l'ampleur et le Moine une folie meurtrière et dévastatrice. Seul Corto osera le braver.
Après plus de 160 pages de dessins à raisons de 8 cases en moyenne par page..c'est une BD fleuve que nous propose Hugo Pratt...Mais l'affaire se terminera bien et Corto, jailli de nulle part, insolent, courageux repartira vers l'inconnu d'où le tirera son géniteur pour de nouvelles péripéties.



Si FORT WHEELING est l'épopée de la guerre Franco-Anglaise au Canada... LA BALLADE DE LA MER SALEE est un roman totalement imaginaire qui renferme tous les ingrédients qui font les grands livres d'aventure : Amour, trahison, courage, rédemption, mystère,  sans oublier quelques bonnes bagarres sur mer comme sur terre et une morale irréprochable sur le droits des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Une BD à lire et à conserver.

Si vous souhaitez en savoir plus sur Hugo Pratt et Corto Maltese faites un tour sur ce site particulièrement bien documenté  qui rend hommage à l'auteur qui nous a quittés il y a quelques années, laissant le monde la BD orphelin autant que la disparition de Pierre Joubert l'année dernière pour le monde de l'illustration : perso.wanadoo.fr/web.on-line/maltese.htm


La Ballade de la mer salée
Hugo Pratt
Editions  Casterman 1975

©2004 Michel Bonvalet






LA BALLADE DE LA MER SALEE