fiche lecture

ECHEC AU ROI

Jean Valbert



Philippe Maurel

Notre époque est celle de regroupements territoriaux. Foin de divisions, de lignes de démarcation, on agrège, on annexe, on conquiert et au pire on colonise. À l'inverse de jadis, avant que l'État-Nation n'accomplisse sa mission civilisatrice, arase, réduise les particularités comme on le dirait d'une fracture. Jean Valbert convie à ce retour en arrière, au temps lointain où la Franche-Comté appartenait à la couronne d'Espagne bien que la langue et la culture  la rattache à la France, si proche et pourvue d'un appétit de conquête d'autant plus aiguisé que la province renforcerait son flanc Est, à l'endroit même où l'Autriche se montre quelquefois avide et menaçante. Le cardinal Richelieu sera le maître d'œuvre de cette annexion, à l'issue d'une guerre où les vies ne s'épargnent pas plus que les efforts pour soumettre les rebelles.

La Franche-Comté appartient donc à la lointaine Espagne mais avec un statut qui lui octroie de nombreuses libertés (d'où le terme de Franche, un territoire où on s'affranchit des contraintes), Dole en est la capitale à quelques encablures de ce pays perdu qui sera une si grande source d'inspiration pour le Signe de piste.

Mais pas perdu pour tout le monde, car la région est riche et sa renommée intellectuelle s'est largement émancipée des limites de ses frontières. La ville garde même aujourd'hui encore les traces de ce passé flamboyant qui laisse le promeneur ébahi de tant de magnificences architecturales.Pour qui connaît un peu la cité du Nord Jura, pas besoin d'une grande imagination pour planter le décor du roman de Jean Valbert. L'histoire se déroule donc sous la régence, dirigée de main de fer par un cardinal en grand appétit de conquête territoriale. Au collège de la ville, qui accueille indifféremment français et franc-comtois sans qu'aucune barrière autre que politique n'établisse entre eux des fractures et des confrontations, l'animosité entre les clans est palpable et touche à son paroxysme lors du siège de la ville par les troupes du roi (en réalité composée de mercenaires venus d'un peu partout et surtout de Suède dont quelques patronymes attestent que la guerre n'a pas été pour eux leur unique centre d'intérêt).Parmi eux Philippe d'Orgemont, apparenté à la Fronde, celui-là même qui commande la soldatesque envahisseuse, rejeton de vieille noblesse qui entend pas jetter aux orties les emblèmes de sa haute ascendance lignagère. De l'autre, Gérard Busot  fils d'un magistrat de la ville, de basse extraction paysanne.

Les passions belliqueuses vont exacerber entre eux les tensions. Entre leurs oppositions irrédentistes viendront se caler des rivalités d'origine sociales plus universelles. Autour d'eux, dans la désolation d'une terre dévastée par les humiliations et les massacres, surgissent alors de beaux spécimens d'héroïsme comme l'exemple de ce jeune paysan, sorte de mousse d'une galère qui a emporté toute sa famille et que le jeune bourgeois recueillera chez lui durant le siège, et tous les autres camarades de collège qui, sur les remparts offerts aux coûts de l'artillerie ennemie, vont révéler un courage qui marquera leur passage à l'âge de la maturité. Et nos deux héros pris dans la tourmente de l'histoire avec un grand H ? Bien sûr, une amitié presque contre nature, mais combien plus solide que les contingences politiques, relèguera aux oubliettes (et il y en a dans le roman) les affres de leurs allégeances respectives.

L'état de siège est propice aux interrogations sur notre condition humaine. L'enfermement ménage les consciences, catalyse les peurs, met en relief les caractères, en les soumettant à l'épreuve d'une providence dissimulée sous les traits du dieu de la guerre. Les tempéraments se révèlent, les clivages aussi même si l'union contre l'adversaire tend à les émousser. La réussite de l'auteur est de faire surgir des solidarités sans occulter les obstacles qu'elles dépassent. Dole sous les boulets Français, c'est Londres pendant le blitzkrieg mais dans une ambiance pré révolutionnaire qui a précédé la réunion des États généraux en 1789. À moins que chez Valbert le prêtre ait pris le pas sur l'écrivain et que ces ferments de déstabilisation de l'ordre établi n'annoncent cette cité de Dieu tant promise, cette antichambre du paradis.

Autre prouesse du roman: son mélange d'épopée, façon Alexandre Dumas, et évocation historique scrupuleuse. Peu de scènes qui ne s'inscrivent dans un passé vécu comme si l'auteur, dans cet hommage rendu à son pays, tenait à souligner que les actes de bravoure qu'il relate ont trop de panache pour être le fait de son imagination.

Ici les scènes d'horreur ne sont pas épargnées. L'époque est à la violence paroxystique et aucune cruauté n'est remisée au magasin des accessoires. Le crime et la désolation s'infiltrent partout et laisseront dans les mentalités collectives des stigmates dont la douleur se fait encore ressentir, bien que très atténuée, de nos jours.

Mais le revers de cette vision tragique de l'histoire présente une tonalité plus optimiste. Sous les rivalités et les antagonismes pointent des solidarités nouvelles encore à peine ébauchées et qui ne sont rien moins que l'esquisse d'un sentiment d'appartenance à une communauté plus vaste que la mosaïque d'apanages qui la composent et que l'on n'appelle pas encore l'Europe. Le même que celui qui animait les deux héros de Jean D'Izieu (Baldur de la forêt) qui sous la bannière de la chrétienté naissante refoulaient leurs préjugés hostiles à l'encontre du prochain.

L'atmosphère de siège est le cadre idéal pour rendre compte de cette incubation. À la fois enfermement et gage d'une liberté en germe : toute la condition humaine se concentre dans ces moments de tension et qui a donné à la littérature de d'inoubliables ouvrages, de "La peste" de Camus jusqu'au "Désert des tartares" de Buzzati. Cet "Echec au roi" leur donne la réplique au sein du SDP. Bientôt, la bonne volonté des hommes sera contrariée par un autre fléau, la peste puisqu'il faut l'appeler par son nom. Elle decimera la Franche-Comté, comme l'a si bien décrit Bernard Clavel dans son livre « la saison des loups » publié quelques années seulement après celui de Jean Valbert.
le roman tient solidement sur son ossature en triptyque : épopée, courage et abnégation. De quoi dépasser bien des contrariétés comme ce fut déjà le cas dans « Matricule 512 » et « Les compagnons de la Loue ». L'ennemi n'est finalement qu'une illusion d'optique de l'Histoire et quand les hommes en ont la volonté, il est si facile de traverser les miroirs.
Je vous invite à déambuler dans les rues de Dole. Vos pas sur le pavé usé par le temps feront résonner les coups de rapières d'une bande d'adolescents qui, quelque 400 ans plus tôt, ont scéllé le destin de leur pays. Peu importe finalement lequel.

N.BEEchec au Roi__._,_.___


Un hommage à Jean Valbert est disponible sur ce site ; cliquez ici !


Echec au Roi

Jean Valbert

Illustrations de Pierre Joubert

Editions Delahaye 2013


©2016 Philippe Maurel   


           










  


Edition 2013 - Delahaye





Edition initiale de 1971