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Charles Maurras Le chaos et l'ordre

Alain Jamot

 
Pour qui aura lu mes différentes contributions au site, une question reviendra souvent : mais qui donc est ce fameux Charles Maurras dont vous devinez l’influence chez bien des écrivains du SDP ?
 
Eh bien un ouvrage vient enfin répondre à cette lancinante question. Paru il y a quelques mois, il présente enfin un travail accessible au non-spécialiste ou au lecteur peu au fait des subtilités du paysage politique français d’avant-guerre.
 
Car si Maurras fut une référence omniprésente jusqu’en 1944 dans la réflexion politique française, et ce bien au-delà des cercles monarchistes (de Gaulle et Mitterrand en subirent l’influence l’un et l’autre), il a depuis sombré dans l’enfer des oubliés de l’Histoire.
 
Théoricien du retour de la monarchie en France, il nous semble émerger d’un autre monde, tant notre univers mental se situe loin de ses réflexions désormais. Sa fameuse « Enquête sur la monarchie » paraît aujourd’hui l’œuvre d’un sophiste, tentant de démontrer vainement par les voies de la raison la supériorité de la monarchie sur la République.
 
Si sa fameuse distinction (encore aujourd’hui si souvent utilisée) entre " pays légal " et       "pays réel " paraît être une contribution intéressante à l’analyse politique, son antisémitisme raisonné et sa violence verbale le rendent désormais quasiment illisible.
 
Giocanti nous le montre dans son intimité, scribe inlassable, pondant près de dix mille articles dans l’Action française, rédigeant d’innombrables livres et plaquettes, homme de plume incapable d’épouser l’action politique (cf. le sinistre ratage du 6 février 1934 que lui
reprocheront tant ses amis…), homme à femmes également, éprouvant des chagrins d’amour, handicapé (sourd), fédéraliste, régionaliste, poète de Martigues et du Félibrige, bref un homme complexe et jouissant d’une influence considérable dans la jeunesse et l’intelligentsia de l’époque.
 
Pierre Joubert, dans ses souvenirs, évoque le poids que l’Action Française (le mouvement et le quotidien) représentait chez les Scouts de France, notamment dans sa revendication à retrouver l’antique découpage de la France en provinces, la promotion du corporatisme et
toute une vision du pays organisé en communautés naturelles, choses qui trouveront un début d’application sous le régime de Vichy.
 
Serge Dalens, qui dans le civil reconnaissait son monarchisme traditionaliste, ainsi que Jean-Louis Foncine (à cette époque) furent également soumis à cette influence. Et Jacques Michel, le fondateur du SDP, finira après-guerre administrateur d’Aspects de la France, la
nouvelle version hebdomadaire de l’Action Française.
 
Victor Nguyen, spécialiste de l’AF, cite même une lettre de Maurice de Lansaye (Jacques Michel) à Maurras où il lui affirme que la grande majorité des cadres des SDF sont d’Action Française (Paul Coze y est cité !)…
 
Maurras et l’AF jouèrent donc avant-guerre le rôle qui fut celui du Parti Communiste en France de 1950 à 1970 et du Parti Socialiste entre 1970 et 1990 : celui d’un rassembleur, attirant à la fois les élites intellectuelles et artistiques et le peuple autour d’un mythe
politique et fédérateur, même si les contenus n’ont de fait pas grand-chose à voir.
 
Souvent désigné comme le « parti de l’intelligence » dans les années vingt-trente, l’AF fut aussi l’antichambre du fascisme à la française avec Georges Valois (initiateur de la première tentative fasciste dans notre pays en 1926) et surtout Robert Brasillach et Lucien Rebatet, transfuges du quotidien royaliste à qui ils reprochaient son conservatisme indécrottable et sa nostalgie idéalisée de l’Ancien régime.
 
Reste qu’aujourd’hui la doctrine et les pratiques, souillées par la condamnation de Maurras pour « intelligence avec l’ennemi » à la Libération, ne trouvent plus guère d’écho en nous.
 
La plupart de ceux qui furent séduits par la sophistique de Maurras empruntèrent d’autres chemins (tel Claude Roy ou Maurice Blanchot), et au Signe de piste cette influence ne laissera quasiment plus de traces.
 
Les auteurs SDP, loin de s’enraciner exclusivement dans ce terreau, épousaient en fait les modes de l’époque. Joubert, toujours lui, rapporte, dans une des Fusées, qu’à l’époque le monde étudiant et le microcosme germano-pratin étaient majoritairement de droite (voire
d’extrême-droite) en réaction à la corruption et aux magouilles de certains parlementaires (l’affaire Stavisky entre autre…).
 
Après guerre, Joubert se souviendra de ses origines populaires et se tournera résolument vers une gauche humaniste et chrétienne.
 
Cette étude vient donc à point pour restituer et expliquer une passion française aujourd’hui quasi incompréhensible, ce fantasme de restauration monarchique, cet appel fantasmatique à un homme providentiel dans une situation exceptionnelle…
 
On pardonnera à l’auteur quelques divagations (notamment dans sa surestimation de l’œuvre romanesque de Pierre Boutang) tant son travail comble enfin ce manque d’un ouvrage accessible sur ce penseur politique dont on mesure souvent mal l’impact qu’il eut dans notre société.
 

 
Stephane Giocanti

Flammarion
Grandes biographies
Septembre 2006


©2006 Alain Jamot