oh, les filles !

Oh, les filles !
Emmanuel Lepage
Sophie Michel

Michel Bonvalet

"Oh, les filles ! Oh, les filles ! " Chantait en 1973 le groupe "Au bonheur des dames " sur une musique entraînante d’Eddy Vartan.

Sur ce titre évocateur et amusant, Sophie Michel a choisi de nous raconter, avec le même brio et la même délicatesse, déjà appréciée dans " Les voyages d’Anna ", l’aventure de trois jeunes parisiennes, la plus belle et la plus difficile des aventures, l’aventure de la vie !

La première partie, parue en 2008, nous contait la naissance , la prime jeunesse et la rencontre de ces trois héroïnes, à priori si dissemblables, qui deviennent amies pour toujours dès la petite école : Chloé, née d’une mère célibataire qui se débat dans les difficultés financières, Leila, petite maghrébine venue en France, avec sa maman et son grand frère, rejoindre un papa émigré, puis Agnès, fille d’un couple de petite bourgeoisie plus préoccupé par leur réussite professionnelle et sociale que par l’arrivée de l’enfant et sa demande légitime de tendresse.

Rien n’augurait de la rencontre de ces trois copines et de l’amitié fraternelle qui en résultera, tant leurs parcours, comme leurs tempéraments, diffèrent.

La seconde partie sortie, courant juin 2009, nous les fait découvrir adolescentes avec les problèmes physiques et moraux, parfois bénins, souvent graves, qui emmaillent leur vie quotidienne.
Chloé envisage une carrière de danseuse classique, sa passion depuis l’enfance, Leila veut prouver par un travail accru et une réussite sociale qu’elle n’est pas handicapée par son origine, elle envisage de devenir médecin et met les bouchées doubles dans ses études.
Agnès, la plus financièrement aisée, se cherche, cherche l’amour et des bras que ses parents n’ont pas su ou voulu lui tendre.

Je ne dévoilerai rien de plus des différentes péripéties qui donnent un sel particulier à des vies quotidiennes qui auraient pu être monotones, beaucoup de jeunes lecteurs et lectrices se reconnaîtront dans l’une ou l’autre des héroïnes.

Les trois destins sont exposés individuellement quand les amies ne sont pas ensemble. Les planches alternent les scènes comme les chapitres d’un livre jusqu’à l’âge de la majorité, permettant de mieux appréhender et pénétrer le monde très contemporain des jeunes filles.

Sophie Michel a bâti son scénario comme celui d’un film, une tragi-comédie du quotidien, l' aventure de trois destins dans la jungle urbaine, une histoire en trois exemplaires où l'espoir, l’amour et l’amitié sont omniprésents.

Quant aux illustrations d’Emmanuel Lepage, elles sont à l’image du grand talent de l’auteur, simplement superbes et parfaitement adaptées à la narration, que ce soit par la mise en scène irréprochable, la technique du dessin et surtout l’émotion qui s’en dégage.

L’artiste est en pleine maîtrise de son art, les portraits, où il excelle, sont particulièrement beaux et très expressifs, les attitudes finement observées (Est-ce que ses jeunes enfants lui servent de modèle et d’inspiration ?), la mise en page, les angles de prises de vues, l’ensemble est réuni pour offrir une bande dessinée de haute qualité.

A l’instar de son ami Joubert, Emmanuel varie ses techniques d’illustration en fonction de l’histoire qu’il raconte et de son contenu, mais son style demeure parfaitement identifiable. Il a opté, cette fois-ci, pour un dessin mi réaliste, mi humoristique, reflet du récit, adaptant ainsi son trait à l'impression qu’il souhaite transmettre à ses lecteurs, à travers les cases de ses planches.

Le dessin n’est pas encré ou très légèrement, Emmanuel Lepage a travaillé essentiellement en couleurs directes parfois soulignées par un crayonné relevant une ombre, un détail, le contour d’un visage… Sa palette est si personnelle que parfois on pourrait penser qu’il a travaillé au pastel, tant les couleurs sont tendres exprimant bien la féminité des héroïnes avec des apports de teintes, propres à l’artiste, mettant en exergue une situation, une action, un sentiment.

Le renfort de crayon donne une qualité exceptionnelle aux portraits sans en diminuer la force des expressions ni l’élégance du trait.

Emmanuel Lepage confirme une fois encore ses qualités exceptionnelles d’illustrateur tout en abordant un type de dessin totalement différent de celui qu’on lui connaissait et qui fait son succès. Il avait déjà osé cette variante avec " Alex Clement est mort " traité uniquement en lavis.

Il aime mettre à l’épreuve son talent, tout en connaissant les risques, c’est le propre d’un grand artiste désireux de se frotter à toutes les facettes de l’art graphique pour trouver celle qui s'accorde le mieux au texte qu'il illustre.

Nous ne pouvons que souhaiter que ceux qui apprécient Emmanuel Lepage sauront trouver dans cette BD, hors des sentiers battus, le plaisir que j’ai pu avoir en la dévorant.

On ne referme pas " Oh, les filles ! " sans un sourire attendri, le souvenir d’une situation vécue, l’envie de deviner ce que ce trio deviendra dans leur vie d’adultes.

C’est une leçon de vie qui ne se veut pas moralisatrice, un long épisode de l’existence de ces trois jeunes filles modernes cherchant leur place dans le monde.

Ce sont deux albums qui peuvent se lire indépendamment l’un de l’autre, mais qui demandent à être lus attentivement, tant pour la narration que pour l’appréciation de chaque illustration.

Oh les filles !

Elles vous rendront marteau….

...et vous ne le regretterez pas !