souvenirs d'aventure
   
 


PAROLES DE SCOUT

Michel Bonvalet

Du patronage à la promesse !

Il ne voulait plus y aller, chez les Scouts ! Non ! Décidément, il avait fait une erreur en demandant son admission à la Troupe.
Il se sentait si bien dans son cocon, au patronage. Là-bas, il était chef d’une équipe de « Cœurs Vaillants » et chacun admirait son cran dans les jeux, lors des sorties, sa bonne humeur et son aptitude à commander et à remonter le moral des plus petits. Un vrai chef !
Aux Scouts, il partait vers l’inconnu et s’ils étaient tous comme son frère, il n’avait pas fini de se faire charrier. Les Cœurs Vaillants ne sont pas très aimés des cow-boys en uniforme !
Bien sûr, s’il en était là, c’est que la Meute avait été dissoute faute de cheftaine pour s’en occuper. Des petits Louveteaux sans Akéla, çà ne veux plus rien dire.

Alors, comme il grandissait dans l’ombre de son aîné, C.P. du Lynx à la troupe Sainte Thérèse, il avait émis, un soir, le désir de porter, lui aussi, le beau foulard aux couleurs brun et blanc et le chapeau à quatre bosses.
Seulement, cette année, son frère montait à la Route et lui devrait se présenter seul à la réunion de troupe. Seul en face d’un groupe de trois patrouilles dont l’une venait de perdre son chef !
Sa timidité maladive aurait rendu la démarche impossible, si le chef de troupe, Bernard, n’avait fait les premiers pas.
Il était venu le prendre, en passant, et maintenant il n’était plus temps de reculer !
« Si j’aurais su, j’aurais pas venu ! » pensait-il en franchissant le seuil du local (qui n’était pas encore une base).
Un coup de sifflet bref !
Le chef qui lève les bras à l’horizontale, redresse ses avants bras ! On dirait qu’ils ont tous compris le signal !
Deux trappes sont ouvertes dans le plafond, donnant probablement sur un grenier. Des échelles de fer y sont fixées en permettant l’accès. Soudain, dans un grand bruit de souliers et de bousculade, tels des pompiers jaillissant de leur caserne, les scouts se laissent glisser, un à un, le long des échelles et prennent place en carré et par patrouilles autour du C.T. et de ses deux assistants.

« Panthères à l’af…fut ! »
« Chamois toujours…plus haut ! »
« Lynx aux a…guets ! »
« Scouts toujours…prêts ! »
Le mot crié à pleins poumons par 25 voix allant de l’aigu au plus grave suivant l’âge et l’évolution de la mue, perce les oreilles du nouveau et lui provoque en même temps un frisson d’angoisse et d’émotion.
Solennellement, le chef s’avance sous l’étendard à la croix potencée fixé sur le mur du fond et faisant le pendant avec le drapeau aux trois couleurs.
« Ce soir, nous accueillons un nouveau parmi nous … Il est le frère de Loir Souriant qui a pris le départ pour la Route, je vous demande de l’aider à devenir un vrai scout à son tour !
"Michel, tu rejoindras la patrouille du Chamois à laquelle il manque un élément. Jean Bernard ton C.P. guidera tes pas … fais-lui confiance c’est un chef d’expérience !".
Le novice est allé se ranger auprès de son chef de pat qui s’est avancé à l’appel de son nom et demeure auprès de lui quand il regagne son rang. Il est très impressionné.
Après quelques infos générales sur la sortie du dimanche suivant et le camp de Haute Patrouille, le chef rompt le rassemblement et tout le petit monde gravit de nouveau et en ordre, les échelles pour rejoindre les coins de patrouilles.
Il n’en croit pas ses yeux, le novice. D’abord, des copains de classe sont venus le féliciter. Il a ressenti un petit air sous-entendu aux « Alors, tu t’es enfin décidé ? » Puis ils se sont dispersés à l’appel des CP. Enfin il a découvert le local des Chamois. Chaque patrouille dispose d’une pièce fermée bâtie de planches à peine rabotées et peintes aux couleurs de ses flots.

La pièce réservée aux Chamois est constituée d’une table en rondins et de deux bancs d’angle, aux murs, des tableaux avec les différents nœuds, le morse et le sémaphore. Le fanion de patrouille orné des scalps est fixé au-dessus de la place du CP. Au fond une armoire fermée renferme, il le saura plus tard, le matériel de camp de la patrouille. Des photos de camps et des dessins panoramiques viennent égayer ce décor un peu technique.
Jean Bernard lui présente les autres patrouillards avec lesquels il va partager sa vie de scout :
Georges dit Gino Bartali, le second, Jacques 3ème de pat, Georges, Claude l’avant dernier arrivé.
Pour tous, il n’est encore que le petit frère de Jacques, un cul vaillant du patro, des mômes qui ont parfois joué maladroitement avec le précieux matériel des scouts en cours de révision et nettoyage. Il a tout à apprendre.
JB lui confie un petit opuscule « Pour entrer dans le jeu » qu’il va dévorer durant la nuit d’insomnie qui va suivre.
Les plus jeunes sont gentils et l’observent avec curiosité, lui se fait discret et n’ose pas trop poser de questions. Claude le 5ème de pat a le même âge que lui (15 jours les séparent), il n’a pas fait sa promesse non plus. Ils assistent aux préparatifs du camp de Pâques, leur premier camp qui se déroulera en patrouille dans le parc d’un château à quelques kilomètres de Dreux.
Les rôles sont distribués. Le novice est sûr que ses parents donneront leur accord. C’est une tradition dans la famille, chacun des quatre garçons, en dépit de la guerre qui a troublé leur enfance, doit participer à une activité collective de jeunesse. Et puisque maman est chrétienne, ils sont tous passé par la collectivité catholique, au demeurant très active.
Dans la petite ville de banlieue, il y a deux paroisses, donc deux patronages pour occuper les gosses, un groupe Scouts et Guides de France (Meute/Troupe/Route) un groupe Eclaireurs de France, une troupe Eclaireurs Unionistes, si on ajoute les Cœurs Vaillants et les Ames Vaillantes, la J.O.C., la J.E.C. et la Vigilante, société sportive locale, il demeure peu d’ados à traîner dans les rues ! Tout ce petit monde se lance des défis, se concurrence ou s’ignore sauf … au moment de la Saint-Jean ou un grand feu vient illuminer les contreforts de Romainville (chers à Grenouille de la 1ère les Halles) et où chacun donne un spectacle à la population montée en nombre fêter l’arrivée de l’été.

Il ne sait pas encore, le novice, que plus tard, il deviendra Unioniste par défaut de chef de troupe, puis que son meilleur ami (Claude, le 5ème des Chamois, devenu E.D.F.) l’entraînera dans une aventure au bord du lac de Chaumeçon entre les scouts et les éclaireurs.
Pour ce soir, il ne touche plus terre. Lui qui était le leader de son petit monde, découvre tout ce qu’il a à apprendre avant d’égaler ces garçons qui le dépassent par l’âge et la taille. Alors il dévore « Pour entrer dans le jeu » et, le lendemain, jeudi, s’attaque à son premier Signe de Piste dérobé dans la bibliothèque du frère "
Le mystère du Lac de Laffrey" .
Il n’y comprend pas grand chose et si l’aspect politique simpliste du texte lui échappe, il se sent solidaire de ce CP kidnappé par de méchants anars. La fin, surtout, le ravit. Ce revirement du méchant qui deviendra prêtre, touché par la grâce … Son esprit d’enfant idéalise la notion du bien et du mal, de l’enfer et du paradis … il ne sait pas encore que l’enfer c’est les autres … C’est décidé, il accomplira sa B.A. quotidienne pour devenir un vrai scout !


Le camp de Pâques est arrivé. Le train a laissé la patrouille au complet en gare de Dreux. Il ne reste que quelques kilomètres à parcourir avec un sac à dos trop chargé dont les bretelles scient les épaules encore frêles, tout en poussant et tirant la remorque qui contient le précieux matériel de camping : tente, scies, hachettes, bonamos, tarières, piquets, lassos … Quelle suée, alors que le C.P. leur interdit de boire, les novices tirent la langue et maudissent l’idée même de poursuivre la route.
Il n’a jamais campé qu’une nuit, le dernier de pat, en colo … Et un violent orage a chassé les inconscients qui ont trouvé refuge, trempés, dans une ferme voisine…. Quand on ne sait pas qu’il faut creuser des fossés autour de la guitoune et monter le double toit ! …Bande de visages pales !
Ils arrivent enfin au château, épuisés par la marche sous un soleil exceptionnellement cuisant.
Heureusement l’accueil chaleureux du baronnet, orangeade fraîche à l’appui, fait vite oublier les souffrances endurées … (encore que les ampoules se rappellent vite à leur souvenir) … Sans perdre de temps les novices sont mis à l’épreuve.
Une fois que J.B. a déterminé l’emplacement de la tente, la patrouille s’affaire à installer le camp. Pose du tapis de sol après balayage du sol, fossés, montage des mats, mise ne place de la toile, tension des piquets etc… Les deux plus jeunes sont chargés de creuser les feuillets à quelques dizaines de mètres dans un lieu retiré mais accessible … Un trou assez grand pour les cinq jours que durera le camp. Puis c’est le rangement des sacs, le déploiement des couvertures, seuls trois des six possèdent un vrai duvet, denrée encore rare venue en droite ligne des surplus de l’armée U.S.
Un feu polynésien est creusé pendant que les deux novices sont chargés de la corvée de bois.
Mais le temps se gâte rapidement et de gros nuages menaçants viennent assombrir l’atmosphère. L’hôte, qui a suivi de loin le début d’installation, intervient et propose de remettre celle-ci à demain et de passer la nuit dans la grange. La patrouille accepte de grand cœur cette généreuse proposition d’autant que de larges gouttes commencent à tomber. On remballe rapidement les affaires et les scouts avec leur barda et de quoi dîner se précipitent dans l’abri ou est remisé le foin.
Hmm ! Cette odeur douce et âcre qui frise les narines, mêlée à celle des bêtes qui voisinent dans l’étable attenante, elle a comme un effet de sécurité. La pluie redouble mais la patrouille est au chaud. Bien sûr, on dînera froid, pas question de faire du feu dans la paille, mais au sec.
Les deux plus jeunes chahutent, se bousculent, font des galipettes et le novice n’est pas le dernier à crier, excité par les événements inhabituels et sa joie d’y participer.
Jean Bernard assiste souriant à ce débordement d’énergie qu’il faut bien calmer quand une gamelle est renversée d’un geste maladroit. Il gronde mais les petits se jettent sur lui en riant aux éclats.
« Regardez-moi ces deux minuscules qui veulent se battre comme les grands ? »
« Minuscule…Minus » le surnom restera au cul de pat à la petite taille … Il sera désormais pour tous … Minus, le petit scout, jusqu’à ses seize printemps au moins.

C’est vrai qu’il est petit et fluet, maigre même, mais il compense par une nervosité qui lui confère un dynamisme hors du commun dans les jeux, les prises de foulard ou il se faufile, bat des coudes, n’hésite pas à se jeter dans les ronces pour contrer un adversaire … la douleur ne vient que plus tard !
Il n’a jamais ressenti le double sens de son surnom et il a fallu qu’un aumônier bien intentionné le traite un jour de minus habens ( faible d’esprit) pour qu’il s’en vexe … Merci l’abbé !

Le premier camp ! La première nuit dans la chaleur de la paille a comblé ses rêves d’enfant. Dans les jours qui ont suivi, la patrouille, avec l’accord du Baron, a construit un vrai pont de rondins enjambant une petite rivière qui traverse le bois, créant ainsi un raccourci de plusieurs centaines de mètres aux promeneurs. Un vrai travail de pionnier. En quelques jours il a appris à utiliser la hachette, la tarière, à fabriquer de vraies chevilles, à réaliser des brelages solides, un vrai cours de matelotage et de froissartage sur le tas qu’il ne pourra plus jamais oublier ! Un pont de cinq mètres tout en rondins solides avec un vrai parapet de cordages.
Il ne regrette plus d’être là, le novice et, même si l’épreuve est dure pour un enfant gâté (le dernier de six frères et sœurs), la fierté de participer à une vraie réalisation efface la fatigue, le froid du réveil, le porridge gluant et les angoisses liées à son jeune âge.


Au retour du camp, il est devenu un vrai Aspirant, préparant avec sérieux sa promesse prévue pour le camp d’été. Il ne manque ni une réunion, ni une sortie, apprends les nœuds, le morse, le sémaphore, le secourisme. Il enrage de ne pas encore porter la croix potencée et de ne saluer que de la main droite.

Le camp d’été ? Il aura lieu à Moyenmoutiers, dans les Vosges, près de Saint-Dié. Ce sera le plus beau de ses souvenirs scouts.
En dehors de l’installation du coin de pat, une vraie salle à manger, une cuisine surélevée, des feuillets fermés et isolés… (Les Lynx, eux, ont monté leur tente dans un arbre, en vrais félins) … Il y a l’explo de patrouille au cours de laquelle les Chamois ont parcouru beaucoup trop de kilomètres mais qui l’a marqué pour la vie comme un record personnel … 128 km en trois jours … à pieds … Moyenmoutiers, Saint Dié, Gérardmer, retour par la route des crêtes, col de la Schlucht, col du Bonhomme, le Honneck … Un vrai parcours touristique avec enquêtes sur les villes traversées, photos, croquis panoramiques que Jacques le 3ème de Pat réalise avec un réel talent artistique…Retour au troisième soir vers minuit au camp … Accueil de la maîtrise avec chocolat chaud et tartines beurrées et une indigestion de myrtilles cueillies à même les buissons.

Certes le CP a dû stimuler ses troupes épuisées (aujourd’hui, on crierait au scandale !), promettre aux deux plus jeunes que chaque kilomètre était le dernier avant l’étape … Il y a eu l’orage imprévu et violent et la course sur quelques kilomètres pour rejoindre des habitations et se sécher. Ils ont du se réfugier dans un hôtel désaffecté à demi détruit par la guerre … préparer le bivouac dans une des rares pièces intacte et sèche … feu de camp … Viandox réparateur à la seule brasserie encore ouverte … puis le noir absolu pour dormir sur un sol dur et noirci par l’incendie qui décima le bâtiment. La patrouille endormie, morte de fatigue avait quelque chose des Hirondelles du Relais de la Chance au Roy .
Un vrai exploit sportif que les patrouillards ne sont pas prêts d’oublier.
Le lendemain ils repartaient de plus belle « Va, Scout de France … et ton bâton en main … Part sur la grand route … prêcher la loi scoute … aux vagabonds du chemin … »
Et puis il y a eu la promesse. Sa promesse !
Seul le grand talent de Joubert aurait pu reconstituer l’atmosphère féerique de cette assemblée de jeunes en uniformes impeccables, assistant à la messe, au matin naissant, dans une clairière cernée de sapins dans le massif des Vosges !
L’autel est fait de rondins assemblés, le prêtre officie face à la troupe réunie en carré. Le soleil darde ses premiers rayons à travers les branches auréolant les participants d’une lumière chaude et irréelle.
Une à une, les patrouilles viennent communier pour accompagner les trois novices qui vont devenir scouts. Chacun est recueilli mais sensible aux bruits de la forêt qui s’éveille et au chant des oiseaux qui s’interpellent.

A l’issue de la messe, la troupe reste en place. Le chef Bernard s’avance accompagné de ses deux adjoints dont l’un porte le drapeau vert.
A l’appel de leur nom, les novices s’avancent à leur tour au centre du carré.
Et chacun d’eux répond aux questions du chef avant de formuler la promesse la main tendue au-dessus du drapeau abaissé.
L’ancien Cœur Vaillant, lève à son tour le bras gauche tandis que sa main droite élevée à hauteur de l’épaule fait pour la première fois le salut scout : 3 doigts levés pour rappeler les trois principes du scout, et le pouce sur l’annulaire … Le fort protège le faible !
Il est à contre jour et le soleil lui fait cligner de l’œil tandis que sa voix, légèrement chevrotante mais claire prononce les mots sacrés.
« Sur mon honneur et avec la grâce de Dieu, je m’engage à servir de mon mieux, Dieu, l’église et la Patrie, à aider mon prochain en toutes circonstances et à observer la loi scoute ! »

Le chef lui place sur la tête le béret portant l’insigne brillant à la croix potencée et à la fleur de lys, et lui serre pour la première fois la main gauche.
Ce cérémonial répété trois fois, une prière s’élève des patrouilles et s’enfle sous les frondaisons.
« Seigneur Jésus, apprenez-moi à être généreux … à vous servir comme vous le méritez …. »
Instant de profonde émotion qui fait bientôt place aux cris de joie des scouts quand les aspirants rejoignent leurs patrouilles respectives.
« Notre Dame ... Montjoie ! » Les bérets volent en l’air en signe de liesse.
Le chef fait un signe « Rompez les rangs ! »
Jamais, jamais plus le petit novice, Minus, n’a regretté d’être devenu Scout de France.


Le camp de troupe ne s’est pas achevé pour autant. Il y a eu de nombreux autres camps, d’autres patrouilles, d’autres troupes … Minus a grandi, il est devenu chef à son tour, a fait Jambville … d’autres souvenirs forts ont émaillé sa vie de scout puis sa vie d’homme.
Jamais pourtant il n’a ressenti une émotion aussi intense que ce jour de juillet 1950 dans cette clairière illuminée de soleil et de joie grave. Il avait juste 12 ans et demi !

Plus tard, beaucoup plus tard, devenu mécréant (Athée, O grâce à Dieu), il ne peut effacer ces années heureuses beaucoup plus fortes que de simples souvenirs d’enfance.
Et même s’il a fait quelques entorses à la loi scoute et à sa promesse, il demeure persuadé que celle-ci lui a permis de garder le droit chemin et a contribué à lui permettre de vivre le monde des adultes en conservant son idéal et, peut-être, son âme d’enfant envers et contre tout.




©2004 Michel Bonvalet







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