souvenirs d'aventures
   
 



PAROLES DE SCOUT 3

I. INITIATION A L'AVENTURE par Francis Maire

Du plus loin que je me souvienne, ces petits trains jaunes et rouges étaient appelés "Michelines". Je n’ai jamais su pourquoi, mais cette appellation me plaisait bien.

Sur la ligne Lunéville-Saint Dié, c'est une Micheline qui desservait toutes les petites stations, et qui me déposa en début d’après-midi à la gare de Raon l’Etape, porte des Vosges, comme en témoignait un panneau publicitaire à l’entrée de l’agglomération.

Raon l’Etape, ville aux innombrables fontaines, architecture très particulière de grès rose ; c’est là où la Plaine, torrent fougueux, rejoint la Meurthe pour ne faire plus qu’un cours d’eau calme et pittoresque.

J’avais le projet de remonter le torrent jusqu’à sa source, soit par la vallée, soit par les crêtes. Il faut vous expliquer que la Plaine a tracé dans la montagne un sillon droit comme un coup de couteau, long de près de trente kilomètres, bordé au nord comme au sud de crêtes arrondies, sombres et boisées.

Le temps en cette fin de juillet était magnifique, et sous le couvert des grands sapins verts, la température très clémente. Je venais de terminer mes études, j’avais vingt ans, et après un camp Scout très réussi, je prenais prétexte de ce raid pour faire le point, réfléchir, ou peut être dire au revoir à cette chère vallée qui avait vu nos marches, nos jeux, et autres randonnées, à vélo par exemple.

Les premiers kilomètres furent avalés sans problème. Par une petite route forestière je gagnai le massif vosgien, vers la première scierie de la vallée. Ces scieries étagées tout le long de la Plaine m’ont toujours fasciné. J’aime à voir le va et vient de la longue lame, actionnée dans ce temps-là par la force de l’eau, à me laisser griser par la forte odeur de résine qui se dégage des grands fûts couchés au bord du torrent. Sapins ou épicéas ? Je n’ai jamais réussi à retenir la différence.

Je n’avais pas pris de carte, mais jusqu’au village de Pierre-Percée tous les petits sentiers m’étaient connus, souvenirs de nombreuses années passées en colonie de vacances dans ce coin enchanteur. Aujourd’hui, la plupart de ces sentiers dorment à jamais sous un lac. Adieu donc les framboises et les myrtilles qui les bordaient, sans oublier le trèfle à queue rouge, amer comme de l’oseille, et que nous mangions pour tromper la soif.

Malgré le poids du sac - j’emportais une tente, un réchaud, et des vivres pour deux jours- malgré la pente, un tout petit sentier à peine tracé me permis de gagner rapidement le replat où niche le village. Je contournai les bâtiments de la colonie que je connaissais bien, pour traverser la place et dirigeai mes pas vers l’église. Juste à coté d’icelle se lance un chemin raide et caillouteux, tapissé cependant de ce fin sable rose que l’on retrouve partout dans cette région des Vosges. L’air sentait bon la fougère, et cette odeur me faisait revivre les émotions de mon enfance, dans ce même village, et aussi à l’occasion des camps Louveteaux vécus dans ce massif montagneux.

En un rien de temps, vous arrivez par ce chemin à l’esplanade du Château, et en quelques minutes à peine, vous vous retrouvez à la base du donjon des Comtes de Salm, à admirer à vos pieds les maisons, la vallée et les rondeurs sombres des sommets alentour. Plus au nord, la forêt continue, épaisse, vallonnée, jusqu’à rejoindre les premières collines de Lorraine...

J’avais décidé de camper dans le Château lui-même, sûr ainsi de ne pas être importuné par quelque rôdeur facétieux, tolérant à la rigueur la compagnie des fantômes des guerriers qui, neuf siècles auparavant, avaient défendu pied à pied la forteresse contre les envahisseurs.

Ces Guerriers fantômes, je les connaissais bien, car je les avais rencontrés, par un bel après-midi d’été, alors que nous jouions dans le pré derrière la colonie. Juché au sommet du donjon, l’armure éclatante dans le soleil de juillet, un chevalier digne de la Table Ronde nous faisait moult signes de son immense épée. Le “Grand Jeu” de fin de séjour commençait... Il durerait, selon la tradition, deux jours ! En avant pour l’aventure, emplissons nous de force, de rêves, d’air pur sous les bois avant que de retrouver le chemin de l’école et l’odeur âcre des encriers.

Assis devant mon réchaud, en attendant que la soupe chauffe, je laisse monter en moi les souvenirs réveillés par ce site enchanteur.

Il y a presque dix ans maintenant ? Ce fut l’année de la découverte. La colo d’abord, avec des copains, des jeux, des veillées, des marches en forêt. Et après, le premier camp Louveteaux, toujours dans les Vosges, installés dans une vieille ferme...

Et puis tout s’enchaîne, deux ans chez les Louveteaux, deux camps merveilleux, la découverte d’un autre monde. Puis passage à la Troupe Scoute, ma patrouille – les Aigles- et comme une nouvelle famille. Des sorties, toutes plus motivantes les unes que les autres, variées, tantôt à pied, en bus, à vélo. Dans la neige, la boue, en forêt, ou sous la pluie.

Et pour finir, la Promesse par un après-midi de printemps, dans un pré au bord d’une rivière sur laquelle nous avions passé la nuit à construire un pont. Je me souviens de cette mémorable traversée. Parvenu au milieu de ladite passerelle, dans un grand effort de balancement de cordes et de troncs souples, je vis la berge en face de moi défiler à une allure vertigineuse ! Oui, c’est bien une impression de vertige que je ressentis à ce moment-là. J’ai dû me concentrer quelques secondes, comprendre l’effet d’optique créé par le courant de la rivière, serrer tout ce que je pouvais, et en particulier les cordes du pont, pour vaincre ma peur et terminer glorieusement la traversée.

Cette année fut riche en événements, avec pour finir un camp d’été dans les Alpes. La suite est plus confuse. Pendant quelques années, rien de particulier ? Je rêvais toujours et encore à ces petits camps, ces raids en pleine forêt, à l’inconfort de la tente, à l’odeur forte de la toile sur le nez au petit matin. Je rêvais à l’inconfort d’une selle de vélo, au plaisir du feu le soir qui nous rassemble tous dans le calme retrouvé et la satisfaction de l’effort accompli. “La paresse séduit, le travail satisfait” écrivait Anne Franck. Oh ! Combien juste est cette formule ! Et notre travail d’adolescents, c’était de repousser la facilité, le confort.


La suite ...

©2004 Francis Maire