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PAROLES DE SCOUT 3
II. SCOUT ET RANGERS par Francis Maire
C'était tout au début du premier hiver où
j’étais à la troupe Scoute, mon premier week-end Scout. Hiver,
froid et neige. J'ai interrogé ma mémoire à ce sujet,
et elle m'a dit des choses plutôt curieuses. D'abord, au moment même
du départ, je ne savais pas que je partais, enfin je ne crois pas.
En tout cas je ne savais pas où j'allais, ni comment, ni pourquoi.
Et pourtant, je partais confiant : je ne me rappelle ni inquiétude,
ni peur d'aucune sorte. Je me laissais bercer par l'amitié des copains,
leur bonne humeur. Puisqu'ils étaient contents de partir, c'est qu'il
ne pouvait rien nous arriver de mauvais.
Tout au long du trajet, installé bien au chaud dans
le bus, je somnolais. La nuit, comme un manteau protecteur nous isolait du
monde. Après avoir roulé longtemps, le car nous a déposé
au bord de la route, dans le froid et la neige. Dur de quitter un abri chaud
et confortable, de mettre le sac au dos et d'entamer une montée vers
l'inconnu. Là, j'ai un peu paniqué : le bruit courrait que nous
aurions à marcher longtemps dans le noir. Nous étions dans
un hameau, perdus au milieu d'une sombre forêt. Vosges sombres et mystérieuses,
petites vallées désertes, vous commenciez à m'envoûter
!
Mon angoisse ne dura que le temps de naître. Les muscles
à peine échauffés, et comme j'étais sportif et
pas frileux ça n'a vraiment pas été long, nous étions
arrivés. À vrai dire, une centaine de mètres. Le chalet,
c'est comme ça que je me représentais un chalet, me fit une
impression extraordinaire. Les murs garnis de bois brut, un bon feu dans la
cheminée. Très rustique, simple.
Les autres souvenirs sont confus, des flashs, quelques images
fixées comme des photos dans ma mémoire. Le matin par exemple,
le trajet pour aller à la messe au village, sur une petite route toute
blanche. Comme on marchait vite ! Pour ne pas être à la traîne,
je glissais d'un pied sur l'autre, sorte de pas de patineur. Puis passage
à travers champs pour couper des virages. Tout cela était extraordinaire
pour moi qui ne connaissais guère que l'univers de mon école,
de la ville. Mais découverte qui me remplissait de bien être.
L'ambiance des copains, durs à la marche, au froid... C’était
la découverte du Scoutisme, d’un Scoutisme encore un peu traditionnel,
au début des années 60, un contact avec des garçons plus
grands que moi, des grands, endurants, qui prenaient leurs plaisir à
des choses difficiles, comme le froid, l’inconfort, dormir par terre, marcher
vite. Depuis deux ans, aux Louveteaux, j’avais eu un petit aperçu de
toutes ces choses nouvelles, et qui m’attiraient. Mais à dix ou onze
ans, nos activités étaient modérées et tournaient
encore autour du jeu, du petit jeu d’intérieur, ou de ballon, pas encore
de vrai jeu de piste, ni de marche à la boussole, ni de sortie de
deux jours en conditions hivernales.
L'après-midi, encore dans la neige, avec en prime un
peu de secourisme. Je n'en ai rien gardé de conscient. Et puis il y
a eu un retour, toujours en bus, mais qui s'est complètement effacé
de ma mémoire. Ce qui me reste c'est cet arrière-goût
de dur, de froid, de copains. C'est comme ça que je m'imagine la Sibérie.
Il y a aussi la montagne sous la neige, non pas la montagne à ski dans
un grand centre moderne ou mondain, mais la montagne dans son intimité,
à peine voilée d'un pudique drap blanc de quelques centimètres,
juste pour se faire belle à mon arrivée. La nuit et les sombres
forêts de sapins, avec leur grand mystère qui me poursuit encore
à ce jour où j'ai, là où j'habite, la chance d'avoir
quelque uns de ces grands arbres dans le jardin.
Le deuxième raid -je n'aime pas le mot week-end, il
est mal approprié pour ces temps forts- le deuxième raid comme
le premier, et les autres, je ne savais toujours pas où on allait.
Le saurai-je un jour ? Départ dans la nuit, en voiture avec les parents
du chef de patrouille (CP). Il a fallu faire deux voyages, nous devions être
six. La voiture nous dépose à l'entrée d'un petit village,
pas très loin de Lunéville. La nuit vient de tomber, je l'ai
dit, et nous enveloppe de son mystère sécurisant comme d'une
couverture pour nous protéger. De quoi ? Mon Dieu je n'en sais rien,
c'est juste une impression que j'ai encore à ce jour. Bref on ne voit
rien ou pas grand-chose, quelques maisons en traversant le village. Il ne
fait même pas vraiment froid, bien que l'on soit en plein hiver, en
février je crois. Arrivée dans une ferme d'un second village.
Tout ça sent bon l'atmosphère de mes lectures futures, collection
“Signe de Piste”. C'est pour ça que je m'y retrouverai si bien, retrouvant
mes 12 ans, et la découverte du monde extraordinaire d'alors. Nous
nous installons dans la paille, près de l'écurie. Il fait chaud
et ça sent bon les bêtes.
Le chef (CP) est là qui nous guide, du haut de ses
15 ans. Il est une référence pour moi, et c'est rassurant d'avoir
un "grand" pour nous épauler, nous organiser
Il y a dans ma mémoire un reste flou de jeu de piste,
de virée dans la nuit, d'une autre équipe dans une autre ferme
du village. Mais c'est vague. Je sais que le lendemain on s'est amusés
à casser et retirer la glace du lavoir devant la maison, une glace
si épaisse que je m'en souviens comme si c'était hier tellement
j’avais été impressionné.
Quant au retour, il est complètement effacé.
J'y suis retourné dans ce village, j'y ai trouvé des amis, incroyables
de gentillesse. Je suis marqué par cette région, c'est une
partie de moi-même, et j’ai continué à la parcourir en
tous sens, à pieds, en vélo, en voiture.
Je suis allé à la croix Mekiechel juste au-dessus
du village, alors que j’étais chef Pionniers, et j’ai raconté
l’histoire de ce CP courageux qui a laissé sa vie pour sauver les garçons
de sa patrouille. Quelques années après la guerre (1947 ?),
un dimanche de février cette patrouille s’arrête sur la crête
de la colline qui domine la vallée de la Vezouze au sud et le village
dont je parle sur l’autre versant. Il est midi, l’heure d’allumer le feu,
de préparer le repas. La malchance veut que ces garçons installent
leur foyer sur une ancienne mine, laquelle explose et les blesse gravement.
Rapidement alertés, les secours arrivent. Mais il n’y a que quatre
places dans l’ambulance. Le CP se dévoue : “Partez avec les plus jeunes,
vous viendrez me chercher après.” Lorsque l’ambulance est revenue,
il était trop tard.
Qui se souvient encore ?
Plus tard, il y a eu le camp de Pâques. Ce camp de Pâques,
je l’ai commencé très tôt, bien avant le début
du carême. Je ne savais faire du vélo que depuis peu de temps,
à peine un an il me semble. D’ailleurs, je n’avais pas de vélo.
Comme ce camp qui s’annonçait devait se dérouler dans les Vosges,
et que nous ferions le trajet en vélo, je résolu de m’entraîner.
C’est ainsi que j’ai commencé la découverte des petites routes
des environs. Chaque dimanche, ou presque selon le temps, je partais, sur
le vélo de ma mère. J’ai commencé de cette façon
une ère de virées cyclistes solitaires, et que j’ai poursuivi
des années après. Maintenant encore, je continue, à ma
façon, le plus souvent en courant, à arpenter la campagne environnante.
C’est toujours un effort ingrat, dur, cuisant. Je n’arrive pas à m’y
habituer. Si je cours, c’est maintenant pour me maintenir en forme. Avant,
je faisais des randonnées à bicyclette pour le plaisir. Tout
de même, il m’est arrivé de partir avec des copains, avec des
Scouts, ma patrouille, un ami, voire toute la troupe. Mais c’est une autre
histoire, j’y reviendrai plus tard.
Je m’entraînais, donc en cette fin d’hiver, et pour
partir jusque dans les Vosges, ma mère eut l’idée de demander
à emprunter le vélo de mon cousin, un vrai vélo d’homme,
de grande taille, avec des vitesses.
Nous sommes partis par un frais matin d’avril, d’assez bonne
heure. Je n’avais pas de charge, contrairement aux autres membres de la patrouille,
mon sac ayant été transporté en voiture par les parents
du CP. Je ne me rappelle plus très bien de la route. J’ai souvenir
de la montée du col de la Chapelotte, déjà trente kilomètres
dans les jambes. La route ne me semblait pas très raide, et je ne me
sentais guère fatigué, mais on a fait une pause au milieu de
la montée. Je crois même qu’on a poussé un peu les vélos.
Le col, je le connaissais bien pour y être venus souvent lors de mes
séjours à la colonie de Pierre Percée les étés
précédents. Il y a une source, captée, qui coule dans
une fontaine sculptée en roche rose de grès vosgien. Le lieu
est entouré de calme, de mystère, d’une ambiance dramatique.
Les alentours du col sont parsemés des restes de la Grande Guerre,
tranchées, ruines, abris creusés dans les roches, ou blockhaus
en béton. Sur le chemin qui monte de la vallée d’Alencombe,
je me souviens avoir vu un gros obus non éclaté, comme ça,
dans l’herbe du bas coté. L’atmosphère toujours me saisi et
me pénètre lorsque je passe dans ce coin de forêt.
La descente, sans problème jusqu’au village d’Alarmont
où il y avait sur le mur en face de l’église, une magnifique
carte en relief de la vallée. Le CP qui roulait en tête s’arrête
pour la regarder, moi qui le suivais, je regarde également la carte,
seulement je ne pense pas à m’arrêter, du moins pas assez tôt
et par collision, je détruis le feu arrière du vélo qui
me précédait. La colère du CP, qui semble bien compréhensible,
me surpris. C’est le sentiment que j’en garde, et il est si paradoxal que
je m’en souviens encore très bien. Le scoutisme était pour moi
jusqu’alors un havre de bonheur où rien de tel ne devait m’arriver.
Tous ce que nous faisions m’apparaissait extraordinaire, et je découvrais,
surpris, qu’il pouvait se passer des choses de tous les jours, bêtise
(légère) et réprimande (justifiée). Je me demande
cependant si quelque chose ne s’est pas cassé à ce moment précis,
à moins que ce ne fût une révélation de quelque
chose de cassé qui dormait en moi et commençait à émerger.
Le retour, quatre jours plus tard, fut une véritable
épopée, digne du passage de la Bérézina. Il pleuvait,
et encore, dans la descente du col du Donon, je crois bien que c’était
de la neige fondue. Un gros col, des cotes raides, peut-être cent kilomètres
dans le froid et la pluie. Je n’en pouvais plus. Vers le milieu de l’après-midi,
je roulais, dans un état second, sorte de reflex de survie. Finalement
nous sommes arrivés à bon port, crevés, les doigts gelés,
mais heureux comme des fous.
Les années qui suivirent ont été marquées par
le changement de pédagogie du scoutisme, passage du système
“éclaireurs” avec ses patrouilles au système Rangers/Pionniers,
par tranches d’âge plus égales mais toujours des équipes.
Il s’en est suivi un flou, des postes pionniers tâtonnants n’arrivant
plus à intéresser les jeunes même les plus accrochés
au scoutisme, une demande accrue auprès des chefs, tâche jusqu’alors
assumée par les CP, garçons de 16 ou 17 ans.
Cette réforme nous atteignit de plein fouet durant
cette première année. Adieu donc ma chère patrouille
des Aigles, pour une équipe de garçon de mon âge, formée
un peu artificiellement, sans vie, sans passé, sans histoire commune.
Un camp dans les Alpes un peu raté : six garçons de treize ou
quatorze ans livrés à eux-mêmes, sans expérience
de camp, ni de vie en équipe, sans réel meneur comme étaient
les CP. Le camp n’avait pas de but, si ce n’est de faire un camp, parce qu’une
troupe Scout ça fait des camps.
L’année suivante, j’ai connu quelques semaines d’activité
“Rangers” : on a fait des figures en plâtre moulé, pour les vendre,
et un week-end de début, à vélo, sans grand mystère.
J’ai arrêté.
Puis j’ai eu l’âge d’être Pionnier, et les chefs
avaient vraiment le scoutisme dans le sang. Ils nous concoctèrent un
raid de trois jours dans les Vosges, tantôt en équipe, tantôt
en Poste, assez génial. Malheureusement ils étaient peu disponibles
: étudiants et travaillant pour financer leurs études, l’affaire
a bien vite périclité. Pas de camp pour la deuxième fois.
J’ai réessayé encore l’année après,
mais de nouveau sans chef, nous n’avons pas tenu très longtemps.
Vers le début du printemps, les chefs Rangers, qui
eux tournaient à plein régime, me voyant errer l’âme en
peine, m’invitèrent, d’abord à un grand jeu, une veillée,
puis à donner un coup de main lors d’un week-end.
A 16 ans j’étais toujours dans cette recherche d’absolu,
de camaraderie, de jeunesse, et me retrouvai chef Scout. Claude le chef Rangers,
me prit comme intendant au camp d’été dans les Vosges bien sûr
à La Petite Pierre. Ce camp a marqué pour moi le début
d’une nouvelle vie, des aventures extraordinaires que je ne puis citer trop
en détail. Je peux simplement citer la liste des différents
camps que je fis en tant que chef Rangers, c’est-à-dire avec des garçons
de 12 à 14 ans, pleins de vie, de mouvement, de joie et d’humour, prêts
à nous suivre n’importe où sur les sentiers d’amitié.
Ce qu’ils firent d’ailleurs !
En 1967, camp de La Petite Pierre :
Perché sur un éperon rocheux, le château
domine les vallées et le village. Nous avions installé le camp
dans un pré en contrebas, prés d’un lavoir qui nous fournissait
une eau claire et glacée, entouré de sapins majestueux.
Avec Claude, le chef, et mon ami Jean, nous étions
venus quelques jours en avance pour préparer le terrain, faire faucher
l’herbe, monter le mat, trouver du bois pour les installations. Celles-ci
furent rondement menées dès l’arrivée des Rangers, et
conséquentes, puisque nous avons construit une vraie table de trente
places, couverte, ce qui n’est pas du luxe dans ces régions.
C’était mon premier camp digne de ce nom. Je ne fus
pas déçu, loin de là. Mes responsabilités au ravitaillement
et à la cuisine m’aidèrent à me prendre en main et à
être actif. Ce séjour a été pour des plus constructifs
; je m’ouvrais à une autre dimension. Le contact avec les jeunes était
excellent. Après tout, je n’avais que trois ans de plus qu’eux.
Grands jeux, marches, fêtes, tout y est passé
pour la plus grande réussite de ce camp.
1968 La Mouille dans le Jura :
Nous atteignons là une autre dimension. La distance
déjà, avec plus de dépaysement ; la géographie
d’une montagne même si l’altitude n’était pas très élevée.
L’équipe de maîtrise avait été renforcée,
avec des copains que j’avais connus aux louveteaux cinq ou six ans auparavant
: Michel, Jacques.
Les Pionniers campaient assez près, à environ
vingt kilomètres, presque sur la frontière Suisse. Nous eûmes
leur visite, du moins celle des chefs et de l’aumônier. Ce prêtre
venait de ma paroisse. C’est lui qui m’enseignait le catéchisme, et
animait la colonie de vacances paroissiale de mes dix ans. C’est dire si on
se connaissait bien et si on s’appréciait. Je lui demandai cependant
son passeport pour entrer dans notre camp. Il s’excusa que ses pièces
d’identité étant au nom du Père Immé ne seraient
peut-être pas valables.
Deux temps forts de ce camp sont à retenir : un raid
d’équipe et l’ascension de la Dôle, sommet qui domine le lac
Léman.
Le raid d’équipe se faisait avec un chef et une équipe,
et ce fut pour nous tous un temps très riche de contact, de peines
et d’efforts partagés. Certains connurent les longues marches au soleil,
mon équipe fut plutôt embarquée dans une traversée
de la vallée digne de la forêt amazonienne, épaisse, impénétrable,
avec des ravins profonds. Pour finir dans le couloir d’une colonie de vacances
sous une averse de grêle.
Le chef avait dans la tête de nous faire admirer le
lever de soleil sur le lac Léman. Il avait donc choisi cette crête
qui culmine à 1600 mètres environ, juste après la frontière
Suisse. Un jour de marche nous conduisit à la base. Nous dormîmes
dans une ferme, sur la paille. Pour ne pas louper l’heure du départ,
nous avions organisé un tour de veille. Nous les trois assistants,
n’avions pris qu’un seul sac de couchage, et nous dormions à tour de
rôle. Je compris ce soir-là pourquoi les marins appellent ça
la “couchette chaude”. Il faut souligner que rentrer dans un sac de couchage
tiède, et qui n’est pas le sien, laisse une impression bizarre ; du
moins les premières minutes, car après, on dort.
Le lever eu lieu sans le soleil. Même plus : le sommet
de la montagne nous accueillit par un orage. Les garçons s’abritèrent
sous les tapis de sol que nous avions apporté, et certains purent finir
leu nuit. Dès que la clarté du jour fut suffisante, nous nous
précipitâmes dans la descente, côté Suisse, longeant
d’impressionnants abîmes. Arrivés dans une abbaye, quinze kilomètres
plus loin, nous retrouvâmes l’aumônier qui apportait de quoi
nous sustenter. Les navettes du retour commençaient. Complètement
trempé, je somnolais, assis par terre, en maillot de bain. Le froid
me poussa à tenter l’expérience de pénétrer dans
mon sac de couchage mouillé. Comme plus tard lorsque je remis mon
pantalon, j’éprouvai une impression extrêmement désagréable.
Qui n’a pas connu cette expérience d’enfiler un pantalon trempé,
ne connais rien à la vie, et n’as aucune idée de ce que peut
être l’enfer. Et encore, en enfer le feu ferait sécher les vêtements
!
Je me souviens du dernier jour : Mon Dieu ! Quel cafard !
Jamais depuis je n’ai été si triste de terminer un camp. Tellement
le lieu, l’ambiance, la vie avec ces amis m’avaient plu.
1969 me voit dans les Alpes, près de Fond de France
(Pinsot très exactement). Un camp plutôt dur physiquement. Voyage
en train, avec près de six cents kilos de bagages à porter à
dos d’homme sur les derniers 800 mètres à 1800 mètres
d’altitude. L’altitude se fait déjà sentir, plus parce que le
terrain n’est pas plat et que le moindre déplacement coûte un
effort, que l’air est vif et froid, plutôt que le manque d’oxygène.
Je ne retiendrai qu’une super course en montagne dans le massif
des Sept Laux, dans la neige et les lacs. Une autre virée au-dessus
du camp avec le franchissement d’un torrent failli me perdre. Sans les bras
puissants de mon ami Jean, je partais dans le courant tourbillonnant.
1970 Wengelsbach
Claude, notre chef bien aimé, avait la politique suivante
: une année loin, une année près. Ainsi, l’année
où il n’y avait pas de frais de voyage, il dégageait un excédent
sur le coût du camp, lequel excédent servait à amortir
le coût du voyage l’année suivante. Les garçons restant
ans Rangers, ils bénéficiaient des deux types de camps.
Le camp de 1969 ayant entraîné des frais, celui
de 1970 fut donc décidé proche, et notre choix porta sur l’Alsace,
les derniers contreforts de Vosges, avec ses forêts immenses et ses
châteaux forts, fort en ruine d’ailleurs.
Le trajet fut organisé en vélo, ce qui veut
dire entraînement, sorties préparatoires, reconnaissances de
l’itinéraire, toutes formes de prétextes à une virée
entre Scouts.
150 kilomètres à l’aller, pareil au retour,
et une sortie en Allemagne au milieu du camp, voici de quoi courir après
les pannes et accidents. Et bien, hormis deux crevaisons, une pédale
cassée, on ne déplora qu’une seule chute. Je me souviens de
ce départ, par un matin pluvieux de juillet, tôt le matin sur
les pavés glissants de la rue de Lorraine. Quelle ambiance dans ce
petit matin !
Le premier soir nous vit cantonner dans un ancien café
de village. Nous dégustions impudemment notre riz à la tomate
sur l’herbe dans la rue du village, proposant de partager notre mixture aux
jeunes d’en face.
J’étais toujours dans le peloton, au milieu des garçons,
partageant leur peine, leur joie, leur rire, leurs craintes, pas toujours
leur insouciance. Des discussions très profondes nous rassemblaient,
à deux ou trois, le soir en fin d’étape, ou même lors
d’une pause. C’était une vie très intense.
Le deuxième jour était jalonné de terribles
côtes : nous prenions les contreforts des Vosges en travers, passant
d’une vallée à l’autre au moyen d’un effort de nos jambes musclées,
et des plus petits braquets. Parfois une fraîche vallée nous
accueillait pour quelques kilomètres, avalés avec facilité.
Nulle fatigue, nulle raideur, entraînés que nous étions.
Cependant le dernier col posa un dur problème : le bruit court encore
que seuls trois cyclistes le gravirent entièrement, un rangers sportif
et endurant, et deux chefs, dont moi, évidemment.
La descente n’était pas de tout repos non plus. Le
chef, prévoyant, avait placé ses “gens” à chaque virage
pour faire ralentir les bolides écervelés qui se présentaient.
Pas moins écervelé que tout un chacun, je ne du mon salut qu’à
un réflexe de dernière seconde, en posant mon pied sur le mur
extérieur du virage en épingle à cheveux, pour me repousser,
et mon vélo aussi, vers le milieu de la route. Déjà que
j’étais complètement à gauche, je ne voulais pas en
plus goûter au précipice adjacent.
Encore un camp super, “des souvenirs à ne plus savoir
qu’en faire”, des grands jeux, des châteaux éclairés aux
chandelles, des jeunes lancés en croisade, à la découverte
du pays... Oui nous étions en train de réécrire tous
les livres de Serge Dalens et Jean-Louis Foncine, les souterrains et les Princes
(Eric) en moins.
En 1971 nous partîmes loin, dans le sud de la France,
le grand sud, au pied du mont Ventoux, le bien nommé. Nous campions
dans un maquis, près de la rivière Ouvèze, et il faisait
chaud. Lever à six heures pour profiter de la fraîcheur pour
installer le camp, sieste méridienne, et à seize heures, tout
le monde à l’eau.
Le raid du mont Ventoux reste gravé dans ma mémoire
comme un temps particulièrement fort. Partis vers vingt et une heures
pour marcher à la clémence vespérale, nous arrivâmes
pour minuit sur notre lieu de bivouac. Quelques heures de sommeil, et en route
sur les premiers contreforts du Ventoux, dans les senteurs de lavande et
de buis. Vers neuf heures, repos pour tous, restauration, et sieste compensatrice
de la nuit courte, sous des pins accueillants. En fin d’après-midi,
reprise de la marche, sur les pierriers dénudés du sommet. La
nuit dans la chapelle ne brillera pas par son confort : les pavés sont
durs, froids, et le vent souffle.
Avec Claude, nous admirons le lever du soleil, emmitouflés
dans nos sacs de couchage, à peine protégés de la bise
matinale. La descente se fit vertigineusement, à une allure folle :
six heures de montée, moins de deux heures de descente ! Arrivés
en bas, dans la vallée du Toulourenc, affluent de l’Ouvèze,
pas question de prendre la route. Un gars du pays nous indique un chemin,
précisant toutefois qu’il ne va pas jusqu’au bout. Tant pis ! En avant
pour l’aventure ! En effet, après un kilomètre notre merveilleux
chemin descend dans le torrent. Et nous voilà à patauger dans
l’eau fraîche jusqu’aux genoux. Puis la vallée se resserre. Plus
question de rester dans l’eau trop profonde. Nous voici à faire les
acrobates sur les rochers de la rive, progressant avec difficulté,
mais dans la joie et le plaisir d’en découdre.
Plus loin encore, la vallée se resserre tellement
que deux murailles tombent à pic dans le torrent. Nous sommes obligés
alors de porter le sac sur la tête, dans l’eau jusqu’au cou. Au milieu
de ce passage, une toute petite île nous permet de reprendre pied. A
un mètre à peine, séparé de nous par un mince
bras d’eau, un serpent se tortille sur la roche. Vipère ou couleuvre,
je ne m’approcherai pas. Les garçons, inconscients, lui jettent des
pierres. Je suis obligé de me fâcher pour les faire cesser. La
marche reprend, et bientôt nous reprenons pied sur un sol plus sec,
puis, par un sentier pittoresque, regagnons la route. Nous verrons d’autres
serpents ce jour-là, et nous tendons le dos, dans la crainte d’une
mauvaise morsure. Certes, nous avons des seringues de sérum, mais celui
qui fera la piqûre ne sera pas très à l’aise !
Épilogue : après deux bivouacs à la belle
étoile, deux jours de marches, nous nous effondrons comblés
et épuisés sur notre couche. Les garçons, eux commencent
une formidable partie de foot ! Quelle jeunesse !
La suite
...
©2004 Francis Maire
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