reportage

Visite à Birkenwald

Chritia Norge
     
 

En l'An de Grâce 2003, le 20 septembre très exactement, une expédition se rendit en la lointaine contrée d'Alsace afin de percer le secret d'un château ancestral, pour certains antre d'apparitions en tout genre, pour d'autres vestige d'un noble passé, et enfin, pour nous, symbole vivant de l'imaginaire d'un homme qui par son œuvre nous a fait rire, trembler et pleurer au doux temps de notre enfance.

Si vous allez de Marmoutier à Wangenbourg, vous pourriez être surpris de voir surgir des arbres un clocher et un village, et plus encore de voir que se cache au cœur de celui-ci, un château, niché contre la colline.
Et quand vous passerez sur cette route, celle qui mène au cœur du village, regardez bien en contrebas : là vous le verrez, le château que chacun d'entre nous a rêvé d'explorer :

LE CHATEAU DE BIRKENWALD

Il est midi, j'arrive enfin à Birkenwald, bien heureuse d'être à l'heure à mon rendez-vous avec Pierre qui, d'ailleurs, ayant repéré mon immatriculation 25 s'avance vers moi. Présentations, blablabla, on dit un peu de mal de tout le monde (juste histoire de vous faire enrager) et on passe aux choses sérieuses.

Pierre avait réservé une table à l'hôtel des Vosges et le repas commence par …….ah, vous ne voulez pas connaître le menu du restaurant……….. vous préférez passer à la visite du château, … le riesling……………… non vous ne voulez pas savoir…………………….. D'accord, d'accord on se calme, …………si vous proférez des injures je ne dis plus rien, moi ………….…… là c'est mieux ! Avançons de deux heures environ.

Il est 14h30 et nous attendons sagement sur les marches d'entrée Madame Ghislaine Nivelleau de la Brunière née Latouche. Nous voyons arriver une Dame blonde d'environ cinquante ans, très classe dirais-je, et Pierre me reprendrait en disant très noble (le fossé des générations), possédant un humour à vous faire rouler par terre.


Vue face nord


Vue face est

Nous commençons la visite par un peu d'histoire en faisant un tour extérieur du château. Ah, il a bien grandi ce château depuis l'an 880 où il n'était alors qu'une maison fortifiée appartenant à une impératrice d'Outre-rhin devenue Abbesse d'Andlau puis Sainte Richarde.

Moult nobles gens ont vécu en ces murs mais je vous ferai grâce d'un cours d'histoire, je ne m'arrêterai que sur ceux qui ont particulièrement marqué ces nobles pierres.

Tout d'abord, Louis d'Ingenheim qui le reçut en 1529 et dont le fils bâtit le château tel qu'il est encore actuellement (souvenez-vous de la date 1562 sculptée au-dessus de la porte nord). Surmontant cette inscription, les blasons des deux familles d'Ingenheim et Lansberg (son épouse).

De ces deux blasons, l'un doit vous dire quelque chose. Nous verrons ce détail plus tard.


Détail Blason porte nord

Revenons à l'histoire. Vint la guerre de Trente ans. Les Français étant à peine moins barbares que les Suédois, on les appela à la rescousse : ce furent des Normands qui débarquèrent et l'un d'eux, Gabriel du Terrier, épousa Marie Ursule d'Andlau (on sait pas comment, mais il l'a fait) et s'installa à Birkenwald.

Cet homme avait amené avec lui de nombreux normands qui s'aperçurent que le vin valait bien le cidre, que le schnaps pouvait fort bien remplacer le calva et que les filles n'étaient pas plus mal ici qu'ailleurs. Ils s'installèrent au village décimé par la guerre et firent souche : encore aujourd'hui beaucoup de ces fiers alsaciens sont en fait fils de normands.D'autres se succédèrent et c'est vers 1745 que la famille de Latouche, actuelle propriétaire, apparut dans l'arbre généalogique des Seigneurs de Birkenwald.

Mais voici celle que l'on attend impatiemment, notre fameuse Dame Blanche : Marie Françoise Wilhelmine Cécile Jacinthe Colette Ferdinande Dupré de Dortal de Birkenwald, dite Fanny, fut investie du fief à 3 ans en 1783. Mais très vite, la Révolution fit fuir sa famille qui se réfugia en Autriche où sa beauté la fit nommer "Dame de l'Ordre de la Croix Etoilée".

Les temps devenant plus calmes, elle revint à Birkenwald où elle rencontra l'aide de camp d'un Bonaparte que l’on n’appelait pas encore Napoléon : le marquis de Grimaldi de Gênes. Elle l’épousa.

Le bonheur fut de courte durée car le jeune homme mourut après cinq mois de mariage la laissant veuve à 22 ans. Elle partit rejoindre sa belle famille en Italie du Nord et se fiança à nouveau…

Elle mourut subitement à 24 ans le 6 février 1804, un médecin des ses admirateurs fut soupçonné de l'avoir empoisonnée, par jalousie, en lui offrant un bouquet de violettes…

Pour la petite histoire, l’identité du fiancé de Fanny resta longtemps inconnue. Deux toiles de Xavier Fabvre, dérobées durant la guerre, furent récemment retrouvées. L'une d'elles montre Fanny près de la tombe de son mari, retenue de le rejoindre par Cupidon. La seconde montre le fiancé, fort marri de la mort de sa belle, se désolant sur sa tombe… Aucun doute, le fiancé n'était autre que le petit frère du mari décédé.

Sautons presque un siècle et arrivons à Charles de Foucault : à la mort de ses parents, il fut accueilli et élevé par la famille Latouche. Ses vingt ans ne furent pas sans heurts et il dut même être mis sous tutorat financier : le brave jeune homme prêtait de l'argent et falsifiait les reconnaissances de dette prétendant leur remboursement. Devenu officier puis religieux trappiste, il s’installa ermite missionnaire au Sahara. Il mourut tragiquement assassiné en 1916 dans son ermitage de Tamanrasset. Un procès en béatification fut ouvert mais n’aboutit pas car il semble que Charles était encore agent de renseignement pour la France en ce temps-là et que son meurtre n'aurait rien à voir avec la propagation de la Foi.

Mais il suffit pour l'histoire. Je vous entends déjà scander : l'intérieur ! l'intérieur ! Et bien ouvrez vos yeux nous entrons :à l'entrée même nous voyons un superbe escalier de pierre en colimaçon dont la particularité réside en l'absence de colonne centrale. On admire la dextérité des artisans d'antan.

La voici enfin la Salle des Gardes tant attendue, inchangée depuis des siècles, malheureusement dépouillée par la guerre de ses armures rutilantes et des ses tapisseries murales et là-bas, oui à droite, tout au bout, cette porte cachée par un rideau, oui celle-ci vous la voyez, elle mène semble-t-il vers une cave anodine… Eh bien, c'est là qu'il débute ce fameux souterrain ! Je le tiens de la bouche même de Madame de la Brunière. Bien sûr il est condamné et je vous demande de ne pas aller creuser dans le jardin car je suis sûre que madame la châtelaine n'apprécierait pas du tout une telle démonstration d'enthousiasme.


Salle des gardes


Escalier

On retrouve dans cette salle les armes déjà mentionnées dans le bracelet de vermeil, "d'azur au chevron d'argent, dans le haut de l'écu à deux pommes de pin d'or tigées de même et dans le bas à un ours marchant d'or" et on les retrouve aussi dans l'église, en couleurs cette fois, comme vous pouvez le voir.


Blason de l'église et celui de la salle des gardes

Nous sommes ensuite montés au premier étage. Vous ne verrez pas de photos car ce sont des appartements de réception privés et la châtelaine nous a priés de ne point en prendre. Mais sachez que toutes les pièces sont ornées de stucs et que les portraits des habitants successifs du château recouvrent les murs du grand couloir qui mène aux terrasses.

Ces terrasses sont en lieu et place des chapiteaux des tours et la vue sur le jardin est superbe. En fait, il y a bien longtemps, un pont-levis arrivait entre les deux tours. On peut encore voir les portes ouvragées en grès rose, maintenant condamnées, mais dont les sculptures sont remarquablement conservées.

Dans la pièce opposée, on retrouve les portraits de Monsieur et Madame de Latouche, père et mère de l'actuelle châtelaine, et une superbe reproduction des tableaux cités plus haut représentant l'un Fanny et l'autre Luigi Grimaldi.

Constatant avec plaisir notre émotion, Madame de la Brunière nous proposa de visiter le second étage, normalement interdit puisqu’il regroupe les appartements très privés.

Nous y vîmes un décor boisé typiquement alsacien et toutes les pièces rénovées fort élégamment en petites chambres individuelles.

Nous sommes alors redescendus dans la cour du château, des étoiles pleins les yeux… Les anecdotes n'avaient point manqué et l'une de mes préférées, vous le comprendrez, concerne le grand Cri-Cri.

Le grand Cri-Cri était un officier très autoritaire de la fin des années 30 et le père de Madame de la Brunière servait sous ses ordres. C’est tout juste s’il ne décrétait pas à quel moment il convenait que ces messieurs soulageassent leur vessie (Madame de la Brunière possède un langage très fleuri). Il aimait à se promener après le souper, alors qu'il gelait à pierre fendre, prétextant, pour obliger ses officiers, de la valeur curative de cette marche.

Puis un jour il cessa de se promener. Il faut savoir que le verglas peut être traître et que le grand Cri-Cri l’avait appris à ses dépens en s’étalant de tout son long. Cet officier, inconnu à l'époque, était le colonel Charles de Gaulle.

Ce château a une belle histoire. Il a su aussi compter dans l'Histoire : Birkenwald fut le premier village d'Alsace libéré par le Général Leclerc qui y résida la nuit du 21 novembre 1944 et y reçut la rédition (dans une pièce du premier étage transformée en bureau) d'un général allemand profita lui de l'hospitalité alsacienne enfermé dans la cave.Oh, j'allais oublier les fantômes… Madame de la Brunière nous a affirmé qu'on avait vu la Dame Blanche à l'une des fenêtres et que certaines manifestations étranges avaient eu lieu. Des vêtements tombant soudainement des cintres, par exemple…
Souvenez-vous de la tour murée où était enfermée la sorcière. Au village, on disait que la personne qui oserait ouvrir la tour mourrait dans l'année. Monsieur de Latouche, qui ne l'entendait pas de cette oreille, alla solliciter ces Messieurs des Beaux Arts car aucun maçon du pays ne voulait faire le travail. En janvier 1963 il fit ouvrir la tour.

Me croira qui voudra mais en décembre 1963, il mourut de crises cardiaques à répétition. 14 fois, on le réanima, mais la négligence d'une infirmière lui fut fatale.
Le lendemain, bien qu'il ne répondait habituellement jamais au téléphone (Madame de la Brunière nous précise qu’il fallait lui télégraphier pour le prévenir qu'on allait téléphoner) le Garde du château, monsieur Joseph Klein (eh oui, Joseph) répondit ce jour-là à la première sonnerie, à 7h30 du matin : la nuit n'avait pas été calme pour lui et son épouse. La chambre de Monsieur de Latouche avait été agitée. Bien qu'il n'y ait eu ni vent ni pluie, les volets claquèrent et des bruits de cataracte d'eau se firent entendre. Joseph et Marie montèrent donc à plusieurs reprises durant la nuit pour s'apercevoir que tout était en ordre. Il savait qu’un malheur était survenu et attendait donc près du téléphone…Après nous être confondus en remerciements, nous quittâmes Madame de la Brunière pour un tour du photographe (on est gentils, on a pensé à vous) et prîmes un café bien mérité à l'hôtel : la visite avait duré 1h30, elle aurait pu en durer dix tant la narration avait été captivante.
Nous sommes bien sûr passés au cimetière saluer la mère de Fanny qui y est enterrée et sommes montés au rocher du Dabo pour quelques photos.


Le rocher du Dabo vu de la route

En fin de journée, nous sommes revenus à l'hôtel afin de nous remettre de nos émotions devant une bonne bière pour Pierre et un café (je suis sage moi) accompagné d'une succulente part de tarte aux quetsches pour ma part. Puis vint l'heure du départ et je quittai, avec je l'admets un petit pincement au cœur, le beau village de Birkenwald sans oublier de murmurer au passage :"Au revoir Eric, au revoir Christian, qui sait… peut-être à l'année prochaine…"

Paru in Hémisphère Sud 10/2003

©2004 Chritia Norge