souvenirs d'aventures
   
 



PAROLES DE SCOUT 3

IV. CHEF PIONNIER AN I par Francis Maire

Cette année-là, Alain le chef du poste Pionniers, un militaire de carrière nous quitte. Son régiment partait à l’autre bout de la France, il se devait de le suivre. Ses assistants qu’il recrutait souvent parmi les appelés, ne pouvaient reprendre sa suite. Il avait fait du bon boulot, Alain. Parti pour ainsi dire de zéro, il avait mis sur pied une équipe dynamique dans un contexte flou né de la réforme du scoutisme dont j’ai déjà parlé.
Je le connaissais bien. C’était un bon copain. Toujours gai, blagueur, un vrai boute en train, mais avec une “grande gueule”, au bon sens du terme, et un rire contagieux qui portait à plusieurs lieues à la ronde.

En plus des Pionniers, il avait rameuté tous les chefs de la ville, séduit les cheftaines louveteaux, guides et jeannettes. Avec lui nous formions une super bande de copains/copines, prêts à n’importe quelle folie ; toujours prêts, comme le veut notre devise. Nous avions reçu la troupe de Mulhouse qui nous avait rendu la politesse en montant un camp de neige inoubliable au pied des plus hauts ballons des Vosges. Nous avions fait des fêtes, sorties, opérations de relance en tous genres.

Bref, c’était un coup dur, et l’ensemble des responsables Scouts, commissaire de district en tête, cogitait dur pour ne pas laisser disparaître un poste aussi bien lancé, ne pas expédier au diable Vauvert ces 15 ou 20 ados super motivés.
Je ne sais pas si la capacité de réflexion de ces responsables était limitée ou géniale, mais je fus pressenti à la docte succession. Mon ancienneté dans le mouvement, mon expérience acquise à travers les quatre derniers camps que j’avais encadrés, et aussi ma disponibilité pour au moins deux ans pesèrent du bon coté de la balance.

On m’adjoignit Laurent, un grand gaillard de vingt ans, taillé en armoire à glace, peu loquace, mais toujours dévoué. Je le connaissais peu, mais avais été louveteau avec son frère. L’esprit du scoutisme le meilleur planait sur la famille.
Camarade sympa, il était solide comme un roc, traversait les épreuves sans broncher, et nous remontait le moral dans nos crises de déprime.

Michel, plus jeune que nous de deux ans, et que nous appelions “Mich”, accepta de se joindre à nous ? Copain hyper sympa avec qui j’avais passé de bons moments chez les Rangers, vif d’esprit, de parole et de geste, il pouvait se montrer très humain. Il jouait de al flûte traversière et préparait son bac. Cheveux sombres et aussi longs que Laurent les avait courts, nous le charriions amicalement pour la longueur de son nez, imitation de Cyrano. A l’image du célèbre bretteur de théâtre, il nous remettait en place d’une chiquenaude : “mieux vaut avoir un grand nez que deux petits !”

Première réunion, première rencontre. Découverte des pionniers que je ne connaissais pas encore. Découverte du local, bien aménagé, au fond d’une cour. Les gars ont leurs habitudes, leur organisation. Chaque équipe a son coin de rangement, sa cantine de matériel. Il y a aussi un bar fort bien garni. Devant ce bar, le coin de réunion s’enroule autour d’un poêle à mazout, qui promet de ne pas se les “cailler” cet hiver. L’ensemble tapissé de bois est chaud, accueillant.

Nous sommes là, tous les trois, face à ces garçons dont nous avons la charge. Je ne jurerais pas qu’aucun soupçon de tract ne me serrait quelque peu le ventre. Mich semble bien plus à l’aise.

Tout de suite la discussion part :
- Si on faisait.
- D’abord, faut gagner de l’argent, pour payer les activités. Trouvons des jobs qui rapportent.

Oh ! la ! la ! Voilà des idées qui ne font pas bon ménage avec ma conception du scoutisme. D’après les bouquins –eh ! Oui, je me suis documenté- la logique voudrait qu’on choisisse en premier lieu une “entreprise”, un projet qui nous tienne en haleine toute une année, et finisse en apothéose au camp d’été.

J’essaie de me faire comprendre, mais en vain. Tant pis, on verra ça en cours de route.
- Bon, les gars, excusez si je vous parais plus terre-à-terre, mais si on organisait un week-end de derrière les fagots, hein ? Qu’est-ce que ça vous dit ?

Ca, c’est un atout, comme on dit à la belote. D’abord trimer un peu ensemble, histoire de souder les équipes.
- Samedi prochain, vente des calendriers avec les Louveteaux et les Rangers, ajoute Laurent qui a dû discuter avec le trésorier.

*

Novembre, second week-end. Nous avons gagné à pied une ferme proche de la ville. J’avais repéré le site d’un coup de vélo. Dans un pré, un amphithéâtre naturel digne des arènes de Saintes, m’avait séduit. A part que derrière la scène, coule la rivière (la Vezouze, pas la Seine !).

Ce soir il y a la cérémonie des promesses. Nous avons invité les parents et organisé un pique-nique autour du feu, dans la nuit qui tombe tôt à cette saison. L’atmosphère est pleine de mystère. Nul doute que ce lieu est magique. Sa forme, sculptée en des temps préhistoriques, concentre les ondes, les sons, et nous en imprègne.

Les anciens du poste Pionnier nous imposent quelques traditions : gare à moi si je ne respecte pas mot pour mot le texte du cérémonial de la Promesse Scoute ! Moi qui n’ai jamais bien supporté tout ce qui m’est imposé, règlement, assurance… Il ne me déplaît pas parfois de me situer un petit peu hors de la loi, à l’occasion, enfin vraiment un tout petit peu, une dose homéopathique. Je ne commettrai donc pas le crime de lèse cérémonial et me plie de bonne grâce. La cérémonie se déroule pour le mieux.

J’ai toujours été étonné comme ces garçons prennent autant au sérieux cette Promesse. Son caractère “étape”, comme un examen qu’on réussit m’énerve un peu. J’essaie de discute pour leur faire comprendre qu’on n’est pas “mauvais scout” avant, et “bon scout” après. Mes les anciens tiennent à leur statut, et m’imposent entre autres le Conseil d’Entreprise, réunion des Chefs de Poste et des Chefs d’Equipes.
Quelle hiérarchisation ! C’est vrai que beaucoup sont fils de militaires. Peut-être que ce formalisme les rassure, leur donne des repères qui les aident à croire en eux.

Michel, Laurent et moi entrons dans le jeu. Le fond compte plus que la forme. Nous saurons faire évoluer tout ceci avec un peu plus de fantaisie, de spontanéité.

La sortie se termina aussi bien qu’elle avait commencé. Seul fait marquant, le bain de Luc : un faitout ayant basculé dans la rivière, fuyant la poigne du Pionnier qui prétendait le laver, Luc n’hésita pas un seul instant à porter secours à son précieux matériel culinaire. Mais en novembre, l’eau de la Vezouze n’est pas très chaude, l’air non plus ! Il s’en tira cependant avec un bon rhume, et c’est tout. Quelle santé !

*

Le thème du camp d’été n’était pas encore entièrement fixé, et le temps passait. Une idée traînait dans l’air et semblait rassembler la plus grande part des garçons. : Le tour du Mont Blanc.
Je n’arrivais pas à convaincre le “Département” de la nécessité de passer les frontières Suisses et Italienne. En fait il nous fallait des autorisations spéciales longues à obtenir. Cette incertitude pesait, personne n’était emballé, pas de projet pour motiver les troupes.

Un jour, Mich n’y tenant plus, mis les pieds dans le plat ;
- Alors qu’est ce qu’on fait ? On se remue, ou quoi ?
- Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse, on ne sait même as ce qu’on va faire comme entreprise !
- Ouais, la belle excuse. Faut trancher, reprend l’assistant, plus virulent que jamais.
- Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’on veut aller dans les Alpes ! s’exclama Patrick, un garçon sportif qui venait de la région parisienne.
- Et on veut faire de l’escalade, nous compléta Dominique, l’acrobate de la bande.
- Nous on veut faire des radeaux,
- Et nous du vélo, et explorer des grottes...
- Le tour de Corse, c’est pas mal ; mon frère y est allé...
- Si on faisait des veillées théâtre pour animer les villages ?

La discussion aurait pu continuer longtemps comme ça. Il fallait absolument se rencontrer tous, puis décider quelque chose, et s’y tenir. Je repris la parole :
Voici ce que je propose : vous vous mettez en équipe, chacune dans son coin pendant environ une demi-heure. Après ça, retour ici, chaque équipe présente un projet chiadé, bien ficelé, et qui tient la route. On vote et on décide. Exécution !

Aussitôt dit, aussitôt fait.
Chaque équipe revint bientôt avec mille idées, certaines farfelues comme la conquête de la Lune, d’autres plus sensées. Il n’en fallait pas tant. Un peu de tri nous permit de ne garder que les plus réalistes. Le tour du Mont Blanc restait en tête, mais avec des suggestions précises, telles que : escalade, marche sur glacier, et aussi des idées de descente de rivière, tour à vélo, spéléo ou encore randonnée à roulottes et chevaux.

Nous les chefs n’intervenions que pour faire reconnaître le réalisable du reste. Il était clair que tous voulaient une randonnée de plusieurs jours, d’où le projet Tour du Mont Blanc. Ce qui me semblait de moins en moins réalisable. Après une chaude discussion on se mit d’accord sur un ensemble de points :

Camp itinérant à Pâques ;
Week-end d’escalade sur une falaise proche ;
Camp au pied du Mont Blanc où nous trouverions et de quoi grimper, et de quoi excursionner à notre guise ;
Une série d’extra-jobs serait lancée pour financer l’achat de matériel et une part du voyage.

Tout cela n’était pas un vœu pieu, et paraissait tout à fait réalisable ; de plus nous avions obtenu un accord unanime sur ce projet, condition indispensable pour intéresser tous les garçons du poste.

Les autres idées étaient mises en réserves pour les années à venir. En réalité, ce poste Pionniers fera l’année suivant une descente de rivière, avec construction de bateaux en résine, un camp itinérant avec roulottes et chevaux, puis un camp sur canaux avec des embarcations inspirées de pédalos. Comme quoi ces garçons avaient de la suite dans les idées et savaient s’y tenir


Tant bien que mal, nous avions donc démarré cette nouvelle année dans ces responsabilités toutes nouvelles pour nous trois. Les calendriers, les deux week-ends, le choix de l’entreprise d’année, nous avaient permis de nous connaître les uns les autres, les anciens de nous juger, nous de nous jauger et de prendre la température.

Nous n’avions pas d’aumônier, mais le père Michel Lejeune, qui s’occupait depuis trois ans des Scouts sur la ville avait répondu ainsi à ma question :
- On doit se réunir sur les paroisses pour s’organiser et se répartir les tâches. Viens me voir un samedi fin octobre. Je ne te promets pas monts et merveilles, mais il y aura quelqu’un pour s’occuper des Scouts, sois en sûr.

C’est ainsi que par un samedi pluvieux d’automne, Michel, Laurent et moi nous nous rendons au presbytère dès la fin de notre réunion avec les Pionniers. C’était à deux pas du local une impressionnante bâtisse juste à côté de l’église. Nous sonnons et c’est le curé qui nous ouvre, un homme imposant et par sa stature, et par sa position d’archiprêtre. Son accueil est cordial, et d’une voix forte mais chaleureuse il nous invite à entrer.
Salut les chefs Scouts. Vous venez voir Michel je suppose ? Il vous attend. Je ne vous accompagne pas, vous connaissez la maison. Allez, filez, jeunesse !
Nous grimpons quatre à quatre le monumental escalier séculaire, trop heureux de n’avoir pas à faire la conversation à ce brave curé qui m’impressionne tout de même un peu.
La première porte à droite, où nous frappons, s’ouvre sur une pièce largement éclairée par une grande fenêtre, meublée d’un bureau, table basse et fauteuil pour une ambiance assez décontractée. Michel, jeune prêtre à peine plus âgé que nous et avec qui nous faisions une équipe du tonnerre, nous salue ? A côté de lui se teint un homme aussi jeune, mais nettement plus grand, avec une carrure d’athlète.
Laurent, Francis, Michel, je vous présent Gilles Leforestier, séminariste. Il est en stage ici pour l’année et il est d’accord pour s’occuper de vous.
Le premier contact est positif. Il nous met à l’aise.
- Vous savez, le scoutisme je connais. J’ai pratiqué cinq ou six ans quand j’étais à Nancy. Je sens qu’on va faire du bon boulot ensemble.

Il ne se trompait pas. Ses conseils, son aide, tant sur le plan pédagogique que spirituel ou même matériel, nos auront été d’un précieux secours.

Mais n’anticipons pas.

Je voulais profiter des vacances de Noël pour marquer un grand coup, organiser un camp de trois-quatre jours, à la dure, du vrai scoutisme cousu main.
Je choisis donc un point de chute, un petit village, le plus petit possible, perdu dans la campagne Lorraine, à un jour de marche de la ville où nous habitions. Avec Michel, nous partons en reconnaissance, rencontrons le curé qui accepte de nous prêter la salle paroissiale. Le plus dur était fait. Restait à lancer les équipes, prévoir l’intendance, et en avant.
Nous, les chefs, partons en voiture, avec le ravitaillement. Puis nous allons à la rencontre de Pionniers. Les trois équipes suivent trois itinéraires différents, évidemment. Traversée de la forêt à la boussole, puis à travers la campagne par des chemins de terre, de village en village. Le lendemain, nous explorons les environs, et le dernier jour, nous rentrons tous ensemble, par un temps maussade et froid dont le seul avantage est d’activer la marche. Même le repas de midi sera écourté. Impossible d’allumer le feu sous la pluie avec du bois détrempé. Cet exploit n’est certes pas à inscrire à notre gloire. Quant à manger les petites saucisses crues, non merci !

Le bilan de l’opération n’est pas aussi brillant que je l’avais espéré. Bien sûr, côté matériel tout a bien marché. L’ambiance était bonne, sympa, mais sans plus. Il manquait ce je ne sais quoi de plus qui fait qu’on peu dire :
Tu te souviens de machin ? Qu’est-ce qu’on a rigolé !
Ou encore :
Qu’est-ce qu’on en a bavé !
Ou encore autre chose, mais qui veut dire :
Qu’est-ce qu’on était bien ensemble !

Dans cette partie de belote que j’ai commencée, je viens d’abattre une forte carte, mais je ne fais pas encore le pli. Non pas un cuisant échec, mais je ne sentais encore pas vibrer le poste Pionniers comme un seul homme, décidé, “tous pour un, un pour tous” selon l’image des mousquetaires. Il fallait donc remettre l’ouvrage sur le métier, et avec l’année nouvelle qui démarrait, repartir d’un nouveau pas.

En tout cas, Laurent, Michel et moi avions su au cours de ce premier trimestre, nous trouver, nous apprécier. Chacun savait pouvoir compter l’un sur l’autre.

La suite de l’année ne fit que resserrer les liens entre nous. Week-end d’escalade à Marron près de Nancy, week-end de réflexion, campe de Pâques, stage de formation à Gérardmer avec Michel jalonnèrent ce dernier trimestre. Nous étions prêts pour le camp des Houches, au pied du Mont Blanc.

Je dois reconnaître que le camp ne fut pas à l’image de l’année : les dés étaient jetés, les équipes soudées. Ce camp fut assez réussi, bien que simple. Il contribua à nous roder dans notre métier de chefs. Gilles, l’aumônier nous apporta largement son soutien tant sur un plan logistique (il avait une voiture) que pédagogique et de l’organisation. Chacun prenait sa place, et la bonne. Un exemple : le dernier jour de camp nous avions prévu de faire un feu et des brochettes. Avec Michel je descendis au village pour le ravitaillement. La pluie nous surprit en route, et c’est le cœur lourd que nous remontâmes vers le près où se dressaient les tentes, pensant que la fête finale était tombée à l’eau. Pas du tout ! Les pionniers avaient dressé un abri avec des doubles toits et des bâches de réserve, et un feu vif flamboyait joyeusement. La fête eut lieu.

Nous nous quittâmes en désaccord sur l’attribution des brevets : nous chefs estimions que certains n’avaient pas montré suffisamment d’initiative, bien que compétents, pour mériter ces badges. Quelques anciens démissionnèrent. Ce qui ne les empêcha pas, dès août, de se retrouver, préparer un montage photos sur ce camp, et lancer des idées pour l’année à venir.

La partie me semblait gagnée. Ces démissionnaires faisaient le dernier pli, et, faute de badge, remportaient un dix de der bien mérité !



La suite ...


©2004 Francis Maire